Minnie Goetze a grandi vite, trop vite. Elle a quinze ans et tente tant bien que mal de passer le difficile cap de l’adolescence en se confiant de façon assidue et presque obsessionnelle à son journal.
Elle y évoque notamment la relation qu’elle entretient avec le nouvel ami de sa mère, la découverte de son corps, son initiation sexuelle, ses relations avec ses amis.
La miss est également passionnée de BD. Elle dessine certains épisodes de sa vie, des discussions, que nous retrouvons dans le livre. Nous avons ainsi un roman pas commun, un genre de roman graphique où le récit est intercalé de planches de BD ou de croquis. Fan de BD underground, admiratrice de Robert Crumb ou Aline Kominski, Minnie s’en inspire beaucoup dans son trait, et l’on retrouve de nombreuses références à leurs univers.
Phoebe Gloeckner a beaucoup puisé dans sa propre vie pour décrire l’adolescence dans toute sa splendeur, sa fougue et son tâtonnement. Les sentiments sont exacerbés, à l’état de pulsion, on ressent l’urgence, la passion, les frustrations. Minnie vit dans la démesure, elle est hyper libérée, crue dans son rapport au sexe et au corps, dans ses envies, et pourtant encore si enfantine dans ses humeurs.
« On est rentrées chez moi et on a écouté Ch-Ch-Ch-Ch-Ch-Ch-Ch-Ch-Ch-Changes au moins cent fois, et c’est officiel, on aime Bowie encore plus qu’avant. On a regardé pendant des heures les pochettes de ses disques pour essayer de déterminer s’il était mignon ou pas, mais elles étaient trop petites, ou alors il avait trop de maquillage pour qu’on soit sûres de notre jugement. »
Si vous êtes parent d’un ado, cette lecture va être un véritable cauchemar. Bon, ici, il faut quand même admettre que la mère plane complètement, et que son intérêt pour l’alcool prime sur le reste et occulte ce qu’il se passe sous son toit… Qui plus est, nous sommes dans les années 70 à San Francisco, la libération sexuelle est passée par là et le sida n’a pas encore assombri l’émulation des premières fois, et il n’y a pas non plus encore de franche contre-indication à la consommation de drogue…
Je suis assez partagée sur ce roman. J’ai beaucoup aimé la façon d’aborder les choses de l’auteure, sa justesse, son choix de mêler prose et bd, son goût pour la bd américaine underground. Mais j’ai trouvé l’ensemble un peu redondant. A l’adolescence, on boucle un peu, du coup c’est parfois un peu longuet et répétitif à mon goût. J’attendais davantage de contexte de l’époque. Finalement, il s’agit bien du journal d’une ado et j’ai peut-être passé l’âge. En revanche, j’aurais adoré lire ça à l’époque. Minnie est attachante autant qu’on a envie de la secouer. Elle explore tout un tas de sentiments, la passion intense capable de s’effriter en un claquement de doigts.
C’est percutant, vif, c’est un bouquin qui interroge, initiatique, transgressif. Tentez…
Vite, trop vite a été adapté au cinéma en 2014, déjà repéré au festival Sundance et récompensé à Berlin, et on espère bientôt dans nos salles…
« Arnie a commandé des pizzas et on a dîné sur une table très chic qu’il avait dressée pour moi. On a même bu du vin dans des vrais verres à vin. Comme si on était des adultes, putain ! Il m’a raconté que quand il était petit, il rêvait de devenir magicien ou humoriste. Un jour, il a eu une révélation : « Pourquoi pas les deux à la fois ? » Un magicien qui ferait des super sketches ! Quelle idée décoiffante !
Après le dîner, il a fait des tours de magie pour moi, tout un spectacle avec gags et accessoires : chapeau haut-de-forme, foulards multicolores, lapin en polystyrène, cartes truquées. Assise en face de lui, je lui faisais un grand sourire pour masquer ma tristesse et ma gêne, tout en ruminant sur ce pétrin dans lequel je m’étais fourrée.
Ensuite, il a passé un album des Grateful Dead, on a joué aux fléchettes et à la fin on était complètement stone. Il était vachement tard et il m’a demandé : « Tu veux bien coucher avec moi ? » On ne m’avait jamais fait la proposition d’une façon aussi directe et détachée. D’habitude ils se contentent de commencer et il y en a des fois qui vont jusqu’à demander si ça ne me dérange pas, mais puisqu’on m’offrait l’occasion d’y réfléchir deux minutes, c’est ce que j’ai fait. Et j’ai décidé de refuser de coucher avec Arnie Greenwald. »
Vite, trop vite / Phoebe Gloeckner. Editions La Belle Colère, 2015
Un grand merci aux Editions La Belle Colère et à Babelio pour cette vibrante découverte.
La Belle Colère est une toute jeune maison d’édition (6 titres publiés à ce jour). Un très beau nom qui colle parfaitement à son catalogue constitué de romans dont les personnages principaux sont des adolescents. Des traductions pour l’instant, de très belles trouvailles, de l’audace, des tripes. Un autre titre à découvrir bientôt sur ce blog : Tout plutôt qu’être moi, de Ned Vizzini.