Y a-t-il plus fier et libre que nous ? Voltairine de Cleyre

La quatrième saison du retour aux classiques joyeusement impulsé par Moka et Fanny s’achève ce mois-ci avec les classiques engagés. Voltairine de Cleyre s’invite donc au rendez-vous, avec des textes qui ont plus de cent ans mais qui sonnent toujours aussi juste.

« Qui exerce son regard verra partout des idées dominantes au travail. Je ne peux concevoir que le combat d’un corps avant sa mort ne soit rien d’autre qu’une lente agonie. »

Voltairine de Cleyre était une anarchiste américaine, contemporaine d’Emma Goldman mais plus discrète et donc moins renommée que sa comparse. Pour autant, les textes rassemblés ici, mélange de conférences données et de poèmes, sont communicatifs d’un élan qui ne devait pas laisser indifférent lors de ses manifestations et n’ont pas fini de résonner.

« Il m’a souvent été demandé par des femmes dont les maîtres étaient décents et qui n’avaient donc aucune idée des atrocités endurées par leurs soeurs moins chanceuses : pourquoi ces épouses opprimées ne quittent-elles donc pas le foyer ? Mais pourquoi ne courons-nous pas lorsque nos pieds sont enchaînés ? Pourquoi ne crions-nous pas lorsque nous sommes baillonnées ? Pourquoi ne levons-nous pas nos bras au-dessus de nos têtes lorsqu’ils sont rivés le long de notre corps ? Pourquoi ne dépensons-nous pas des milliers de dollars lorsque nous n’avons pas un sou en poche ? Pourquoi n’allons-nous pas à la mer ou à la montagne lorsque nous brûlons dans la chaleur des villes ? S’il est une chose qui m’irrite particulièrement dans cette société éculée, c’est cette incroyable stupidité avec laquelle le vrai flegme de la bêtise demande : « Pourquoi ces épouses opprimées ne quittent-elles donc pas le foyer ? » Pourriez-vous me dire alors où iraient ces femmes et ce qu’elles feraient ? Quand l’Etat, les législateurs, les politiciens se sont offert le contrôle total et absolu de l’opportunité de vivre. »

Voltairine de Cleyre est américaine donc, née en 1866 de père franco-américain, né à Lille (oui oui) et d’une mère puritaine. Placée dans un couvent à l’adolescence à la séparation de ses parents, cela n’entamera pas la rébellion bouillonnant déjà dans ses veines, elle se déclarera athée à sa sortie, et prolongera ses réflexions politiques, s’impliquant dans le mouvement des libres-penseurs, puis s’inscrivant dans la pensée anarchiste. On retrouve notamment son article Pourquoi je suis devenue anarchiste, paru en 1908 dans la revue Mother Earth fondée par Emma Goldman.

« Toute personne qui a eu le projet de mener une action, et l’a effectivement mené à bien, ou qui l’a exposé à d’autres afin d’emporter leur adhésion, sans demander à des autorités extérieures d’agir à sa place, a eu recours à l’action directe. »

Voltairine de Cleyre est fort malade, elle peine à prononcer ses conférences mais ne lâche pas le morceau. Nous retrouvons ici ses positions sur la nécessité de l’action directe, le piège du mariage et le sexe dans le couple et plus largement sur l’importance de tenir tête face aux dominations. Elle décède en 1912 à l’âge de 45 ans. Femme de lettres également, son texte sur l’anarchisme en littérature contient de quoi alimenter ce challenge classique pendant encore quelques temps, et ses poèmes restituent avec poigne et élégance acide ses engagements et revendications.

La défense du suicidé

De toutes les idioties à travers lesquelles le pouvoir législatif a manifesté son incapacité à s’occuper des dysfonctionnements de la société, aucune ne me paraît plus stupide que la loi punissant la tentative de suicide. A la question : « Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? », je conçois ici la réponse qu’un pauvre diable pourrait fournir.

Que dire à ma décharge ? En défense de quoi ?
En défense par rapport à qui ? Et pourquoi devrais-je me défendre ?
Ai-je fait du tort à quelqu’un ? Que celui-là m’accuse !
Sinon, que Dieu m’éprouve et que personne n’ose juger
Par lui-même comme s’il avait enfilé le manteau d’hermine des cieux !
Je le répète, que l’offensé m’accuse.
Silence. Il n’y a personne pour me répondre.
Qui pourrais-je offenser, moi, le clochard sans abri et sans ami,
Devant moi, toutes les portes se sont fermées, tous les coeurs se sont verrouillés,
Vers moi, aucune main ne s’est tendue – qui pourrais-je offenser
En prenant ce qui n’a profité à personne,
Mais était une menace pour vous tous ?
(…)

Autant dire que je suis plus que ravie d’avoir fait davantage connaissance avec cette femme dont je n’avais que croisé le nom jusqu’à présent. Un bouquin à faire tourner, forcément !

« Et maintenant où se trouve le remède ? Il réside en un mot, le seul ayant amené l’équité partout : « liberté » ! Plusieurs siècles successifs de liberté, voilà la seule chose qui permettra que ces idées pestiférées tombent en désuétude et se désintègrent. »

Y a-t-il plus fier et libre que nous ?
Voltairine de Cleyre
Payot
2023
218 pages

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Prochain rdv fin mai pour le démarrage de la 5eme saison en pleine nature…
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