Alexis, suivi de Le Coup de grâce – Marguerite Yourcenar

Seconde Marguerite pour ce duel printanier des Classiques c’est fantastique. Duras vs Yourcenar, quelle sera donc l’issue du duel ?

Première Yourcenar pour moi, mais que j’attendais de pied ferme après avoir lu des passages et citations à plusieurs reprises, notamment à La Villa Yourcenar à Saint-Jaans Cappel dont le parc naturel dans le bois du Mont Noir vaut déjà le détour

Alexis, premier roman de l’autrice paru en 1929, qui nous porte dans l’Autriche des années 20 et ses moeurs encore retords vis-à-vis de l’homosexualité. Dans une longue lettre, Alexis, un jeune musicien, explique enfin à son épouse Monique, pourquoi il la quitte. Il revient ainsi sur son passé, leur rencontre, et comment il s’est glissé dans un rôle qui n’était pas le sien, enfouissant pudiquement ses propres désirs pour mener la vie conventionnelle que l’on attendait de lui. En faisant cela, il porte de profondes interrogations, sur la condition humaine et sur le visage du monde.

« Les confidences, mon amie, sont toujours pernicieuses, quand elles n’ont pas pour but de simplifier la vie d’un autre. »

Alexis, ou le Traité du Vain Combat, d’aller contre une nature qui remontera forcément à la surface. C’est à la fois une déclaration et un monologue intérieur, le portrait d’une voix comme le dit elle-même Marguerite Yourcenar, du bilan qui s’impose et se déroule avec une absolue nécessité. L’homosexualité combattue apparaît en filigrane, suggérée en creux des événements.

« Il y a, dans les renoncements de la vingtième année, un enivrement amer. J’avais lu, j’ignore dans quel livre, que certains troubles ne sont pas rares, à une époque déterminée de l’adolescence ; j’antidatais mes souvenirs pour me prouver qu’il s’agissait d’incidents très banals, limités à une période de la vie que j’avais dépassée. Je ne songeais même pas aux autres formes du bonheur ; il me fallait donc choisir entre mes penchants, que je jugeais criminels, et une renonciation complète qui n’est peut-être pas humaine. »

Tout comme le fil d’une pensée qui s’assume enfin, l’écriture reste en retenue, jouant sur les allusions, les doutes, la complexité des sentiments, la culpabilité qui se mêle à une certaine liberté enfin approchée. Une écriture exigeante, qui s’accorde avec le souhait d’Alexis à Monique, « Ce que je vous demande (la seule chose que je puisse vous demander encore) c’est de ne passer aucune de ces lignes qui m’auront tant coûté. » et très précise, qui place chaque mot à sa juste place, servant le tragique dans toute sa splendeur.

« Je vous demande pardon, le plus humblement possible, non pas de vous quitter, mais d’être resté si longtemps. »

Un premier texte magnifique et chavirant, qui trouve plusieurs échos dans le second qui l’accompagne, Le Coup de Grâce, publié dix ans plus tard.

Nous sommes en 1919 aux Pays Baltes durant la guerre civile russe. Dans ce contexte historique tendu, Marguerite Yourcenar tisse un triangle amoureux bancal, entre Eric Von Lhomond, un officier allemand, Conrad de Reval, un ami d’enfance, et Sophie, la soeur de ce dernier, totalement éprise de l’officier qui lui, ne renvoie.

« Eric Von Lhomond, qui s’était toujours tenu avec obstination du côté droit de la barricade, appartenait à ce type d’hommes trop jeunes en 1914 pour avoir fait autre chose qu’effleurer le danger, et que les désordres de l’Europe d’après-guerre, l’inquiétude personnelle, l’incapacité à la fois de se satisfaire et de se résigner, transformèrent en soldats de fortune au service de toutes les causes à demi perdues ou à demi gagnées. »

Eric accumule les qualités. Egocentrique et misogyne, il n’est pas juste détestable pour la forme. Ses sentiments sont complexes, on oscille en permanence entre attirance, mépris et répulsion. Sophie en paie les frais et pour cause puisque c’est vers Conrad qu’il loucherait plus volontiers. Un type frustré donc, de ne pas avoir pris part à la Grande Guerre, de ne pas assumer son homosexualité, et de sans doute bien d’autres choses, qui prend la parole, vingt ans plus tard. Car ces amours ont viré au tragique, et que notre officier, grand prince, s’en fait le miroir, avec une honnêteté que l’on étranglerait bien.

« Pourquoi les femmes s’éprennent-elles justement des hommes qui ne leur sont pas destinés, ne leur laissant ainsi que le choix de se dénaturer ou de les haïr ? »

Là encore, Marguerite Yourcenar est bluffante de beauté et de noirceur, faisant grimper la tension vers un drame final qui donne tout son sens au titre.

Deux textes courts, affutés, sourcilleux, qui se répondraient presque. Une très belle entrée en matière pour la novice que j’étais, et qui ne peut qu’augurer des retrouvailles prochaines.

Alexis ou le Traité du Vain Combat (1929)
suivi de Le Coup de Grâce (1939)
Marguerite Yourcenar
Gallimard
248 pages

Retrouvez les autres titres de la battle Duras vs Yourcenar ici ou .
Prochain rdv fin avril autour du thème Un siècle à l’honneur…

Si vous souhaitez en savoir plus, voire même rejoindre (régulièrement ou ponctuellement) l’équipée, c’est par là.

1 commentaire sur “Alexis, suivi de Le Coup de grâce – Marguerite Yourcenar”

  1. A choisir, je penche ouvertement pour cette Marguerite-ci. Comme je te l’avais dit L’oeuvre au noir est un livre absolument gigantesque. L’inconvénient de cette littérature étant qu’il faut se poser et être reposé pour en goûter la grandeur. J’ai donc trop peu lu ladite Marguerite Y.
    Si jamais Bégaudeau a commis un petit volume sympa sur son intronisation en tant que première femme à l’académie française.

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