Apo – Franck Balandier (Castor Astral)

En 1911, Guillaume Apollinaire est soupçonné d’avoir participé au vol de la Joconde. Franck Balandier s’empare de cette anecdote et extrapole. Il imagine le poète une nuit pluvieuse de septembre aux côtés de son acolyte Géry dans les couloirs du Louvre, à l’affût de la fameuse pièce.

L’auteur imagine et brode autant qu’il recontextualise, décrivant l’époque, les amitiés, les mœurs. Il mêle le vrai et le faux, et fait brillamment illusion. Il s’intéresse de près au séjour d’Apollinaire à la prison de la Santé, qui sera certes bref mais marquant dans son œuvre et sa personnalité. Un fil rouge dans le roman qui traversera les époques jusqu’à nos jours.  Franck Balandier connaît bien le milieu pénitentiaire pour y avoir exercé et animé une émission de radio. L’occasion pour lui d’aborder ici la question de l’enfermement, autour d’un établissement à la symbolique forte, la prison de la Santé, justement sur le point de rouvrir ses quartiers.

« Comment décrire les murs d’ici ? Ce beige qui suinte. L’humidité de tout ça. Comment décrire cette odeur qui flotte, indéfinissable, ce mélange de soupe et de sueur. La sueur de tous les corps enfermés. Ici, il n’y a pas que les âmes qu’on enferme. Les odeurs, les bruits aussi. Guillaume entend une grille dans son dos. Le cliquetis des clés, ce gros trousseau que le surveillant manie avec dextérité. La prison, c’est d’abord cela, quand on y pénètre pour la première fois. Des odeurs et des bruits. Quelque chose de nouveau. De jamais senti. De jamais entendu. On pénètre dans un monde où les sens d’hier ne servent plus à rien. Il faut tout réinventer. Accepter de se perdre dans une forêt de perceptions nouvelles. Se laisser porter. Il n’y a rien d’autre à faire, de toute façon. »

Un roman étonnant qui nous fait traverser le siècle avec audace. Les férus d’Apollinaire auront plaisir à imaginer le poète dans son quotidien et ses rencontres, dans le jus de la première moitié du vingtième siècle, avec une partie de l’histoire de Paris et la Grande Guerre en filigrane, jusqu’à sa disparition dans le flot de la grippe espagnole. C’est un condensé d’histoire humaine par les traces laissées et les échos persistants.

C’est un réel plaisir de retrouver l’écriture de Franck Balandier, mélange de poésie, de gouaille, de sensibilité qui s’attache aux gens et aux lieux. Un trait que j’avais aimé découvrir l’an dernier dans Gazoline tango même si j’étais un peu passée à côté du roman, cette fois l’adhésion est totale, et je vais sans doute très bientôt poursuivre avec Le silence des rails, au sujet de l’homosexualité durant la seconde guerre.

« Monsieur Dray était un homme austère, petit et légèrement voûté, qui souriait d’une manière pincée, un peu comme si un élastique tendu entre ses lèvres l’avait contraint à ne laisser éclater de sa joie intérieure que l’écume. 
Monsieur Dray, fort de son bagage d’homme de loi et flatté de cette première grande affaire qui lui était confiée, avait bien décidé d’en faire voir de toutes les couleurs à ce Kostrowitsky, prétendument poète. 
Monsieur Dray, la trentaine déjà périmée, un peu frustré d’une carrière poussiéreuse dans les couloirs du palais de Justice de Paris, n’aimait pas les poètes et la poésie. Monsieur Dray n’aimait rien du tout à part sa mère chez qui il vivait encore, rue de Buci, 6e arrondissement de Paris, en compagnie de cinq chats, Pupuce, Pépette, Panpan, Prince et Praline, et de son père, Parfait, qui finissait de pourrir dans son lit, rongé par une maladie dégénérative des os. 
A part les prénoms des chats qui commençaient tous par la lettre « P » et celui de son père qui portait si mal le sien, rien n’était parfait dans la famille Dray, et le petit juge avait dû grandir coincé entre une armoire normande et les portraits de ses ancêtres qui le surveillaient sévèrement, même quand il était au lit. »

Apo
Franck Balandier
Le Castor Astral
184 pages
Rentrée littéraire 2018

Du même auteur :

Gazoline tango – de Franck Balandier (Castor Astral)

Challenge 1% Rentrée littéraire #01

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