Un père et sa fille vivent à l’écart dans la campagne côtière californienne. Avec son couteau et son colt, l’ado foule les bois, les plages, c’est une fille de la nature, Turtle Aveston, et elle s’est forgée au fil des années une identité singulière, robuste. Il lui faut au moins ça pour assimiler la personnalité de son père, un homme écorché qui l’aime follement mal.
« Elle trouve le bonheur juste à la lisière de l’insoutenable. Elle sait que cela ne durera pas et elle pense, N’oublie jamais, Turtle, comment c’était, ici, en son absence. Tu dois t’accrocher de toutes tes forces à ce sentiment, à quel point il est bon. Souviens-toi comme tout semblait propre et agréable. Aucune pourriture dans tout ça. Mais aussi, pense-t-elle, à quel point c’était dur. Rien n’est plus difficile que le contact permanent et incessant avec ton propre esprit. Elle pense, Est-ce que c’est grave que ce soit si difficile ? Peu importe. Ça vaut toujours mieux que le reste. Turtle Alveston, acceptez-vous ce néant, et ce vide, et cette solitude ? Elle pense, Acceptez-vous toutes ces nuits en solitaire, et acceptez-vous de n’avoir que ça, et rien que ça, pour le restant de vos jours ? »
Beaucoup de choses ont été dites sur ce roman qui a déjà recueilli beaucoup d’éloges, et je ne vais assurément pas dévier. Les éditions Gallmeister sont spécialisées dans le roman américain avec une forte propension au nature writing. Ils ont pour habitude de nous dénicher des pépites souvent bouleversantes, des textes qui marquent, qui creusent et qui restent. My absolute darling est dans cette lignée, abominable et magnifique.
Il faut s’accrocher un peu au début, on ressent une certaine raideur, dans le langage, l’écriture, de l’âpreté, des répétitions dans l’exercice de style qui peuvent sembler longues ou rebrousser le poil. C’est un roman qui demande une certaine patience, une certaine application, le temps de prendre ses marques, et ensuite, il vous deviendra difficile de le lâcher, tant le personnage de Turtle Alveston vous collera à la peau.
Gabriel Tallent décrit l’ambivalence des sentiments de façon époustouflante. Par ses personnages campés au millimètre, cette violence latente introduite progressivement, la nature omniprésente, qui calme autant qu’elle camoufle, ce malaise flottant en permanence, et cette force de caractère impressionnante et bouleversante, aussi mesurée qu’explosive. J’ai un peu repensé à Lolita de Nabokov, dans ces contradictions, ce malaise.
C’est un grand roman à plein d’égards, un grand roman d’apprentissage, un grand roman sur l’émancipation, un grand moment de littérature américaine.
« Bon, pense Turtle. Il sait se montrer foutument persuasif. Et si elle venait d’un endroit où tout le monde se contrefout d’elle, et que Martin débarque soudain ? Qu’est-ce que tu ferais, toi, si tu n’avais jamais eu ça dans ta vie ? Si tu étais enfant ? Tu ferais beaucoup de choses, pense-t-elle. Tu supporterais beaucoup de choses. Rien que pour attirer son attention. Rien que pour être proche de cet esprit immense, imposant, parfois généreux et parfois si terrifiant. Turtle regarde l’avoir route sombre. Il n’y a aucune autre voiture. Peu importe qui est cette gamine, Turtle ne peut pas l’aider. Turtle à ses propres problèmes. »
My absolute darling
Gabriel Tallent
traduit par Laura Derajinski
Gallmeister
2018
Il me faudra le découvrir et l’acheter lorsque je pourrai me déplacer