L’écrivain et spécialiste des loups Russel Core reçoit une lettre lui demandant de se rendre à Keelut, un village situé dans l’extrême nord de l’Alaska. La femme qui lui écrit est désespérée. Son enfant s’est fait enlever par les loups. Elle ne se fait pas d’illusion, les loups affamés rôdent, s’approchent des villages, et enlèvent des enfants, parfois. Elle veut juste retrouver son corps, ne plus être dans l’incertitude, pouvoir faire son deuil et prévenir son mari, parti pour la guerre d’Irak. Russel Core est habitué aux grands espaces et au froid extrême. Il saura prendre le large, s’enfoncer dans les profondeurs de l’Alaska, approcher les meutes. Mais les histoires ne sont pas toujours celles que l’on croit.
« Une fois que vous aurez barré la route aux loups, alors il faudra la barrer aux bêtes qui hantent les esprits des hommes damnés, et aux hommes qui se damnent eux-mêmes jusqu’à devenir des bêtes, vous savez faire ça ? »
Dès les premières pages, William Giraldi nous happe, avec poigne et sans tendresse, dans un roman d’une noirceur profonde et magnifique.
Il nous met d’abord face à la rudesse des conditions de vie dans cet endroit reculé de l’Alaska, là où le monde n’est plus tout à fait le même que celui que l’on connaît, le froid intense, la nature hostile, les nuits interminables, la survie quotidienne. Rapidement l’histoire prend forme, les personnages, les tempéraments, la bestialité des rapports, l’isolement, l’impuissance, la rage.
« Les morts ne hantent pas les vivants. Les vivants se hantent tout seuls. »
William Giraldi tisse un roman tendu et déroutant à l’univers glacial et brûlant. Il fouille les extrêmes, les profondeurs de l’homme, discerne les recoins les plus sombres, évoque la question de l’étranger, la méfiance, le poids des croyances. On ne se doute absolument pas dans quoi on s’embarque, nous avançons à pas lourds dans la neige épaisse, et nous nous faisons prendre comme des rats. C’est violent, noir, bestial, la neige camoufle et le roman devient obsédant. Ça sent la viande d’élan en train de sécher, le ragoût de lynx, le cuir des bottes fourrées, l’alcool qui aide à tenir.
Aucun homme ni dieu est une véritable expérience de lecture, de celles qui vous envoûtent et vous marquent infiniment. Un roman dépaysant, à la fois tragique et bouleversant, captivant et sublime. Mon coup de cœur absolu de cette année 2015.
Aucun homme ni dieu / William Giraldi. Autrement, 2015
Disponible en poche chez J’ai lu
« Les loups descendirent des collines et prirent les enfants de Keelut. Le premier enfant disparut alors qu’il tirait sa luge sur les hauteurs du village. La semaine suivante, une autre fut enlevée tandis qu’elle longeait les cabanes près de l’étang gelé. Et voilà qu’au milieu des volutes blanches de l’hiver, un troisième était arraché à leur village, celui-ci sur le seuil même de sa maison. Sans un bruit – nul cri, d’homme ou de loup, pour témoin.
Toutes les femmes étaient affolées, celles qui avaient perdu leurs enfants, inconsolables. La police arriva de la ville un après-midi. Ils griffonnèrent des lignes sur des blocs-notes. Semblèrent désireux d’aider, mais ne revinrent jamais. Hommes et femmes se mirent alors à patrouiller dans les collines, à la lisière du village, fusils à la main. Les aînés eux-mêmes escortèrent les enfants, pistolets au poing, jusqu’à l’école ou l’église. »
Je partage absolument ton coup de cœur pour ce livre !
D’autant plus que c’est mon coup de cœur 2015 à moi aussi !