Bandini – John Fante (Bourgois)

Les histoires de famille au coeur de cette ode aux classiques impulsé par Moka et Fanny chaque mois depuis le printemps.

Bandini, premier roman de John Fante publié en 1938 et premier volume du cycle Bandini, quatuor de textes largement autobiographiques autour de l’histoire d’une famille d’émigrés italiens aux Etats-Unis.

La famille au grand complet nous cueille dans le Colorado, entre Svevo, maçon en quête de boulot, père démissionnaire pas très commode, alcoolique sur les bords, pas toujours très malin mais qui traverse néanmoins des moments de grandeur, Maria, mère dévote qui se glisse dans le costume attendu de femme soumise au mari tout en étant serrée aux coutures, navigant ainsi entre posture victime et relents d’affirmations. Et les trois enfants, Arturo, August et Frederico, respectivement âgés de 14, 10 et 8 ans au début du bouquin, qui grandissent assez insouciants au regard des autres et pourtant avides de la lueur de lendemains plus fameux. Car c’est bien la misère qui étreint la famille, avalée par des choix incertains, des dettes qui s’allongent, des envies d’ailleurs vite rabroués.

« Le petit-déjeuner pour trois garçons et un homme. Il s’appelait Arturo, mais détestait ce prénom ; il aurait aimé s’appeler John. Son nom de famille était Bandini, mais il aurait préféré Jones. Sa mère et son père étaient italiens, il les aurait voulu américains. Son père était poseur de briques, il l’eût préféré lanceur pour les Chicago Cubs. Ils habitaient Rocklin, Colorado, dix mille habitants, et il voulait habiter Denver, à trente milles de là. Son visage était couvert de taches de rousseur qu’il haïssait. Il fréquentait une école catholique, il aurait préféré une école publique. Sa petite amie s’appelait Rosa, mais elle le détestait. Enfant de chœur, il était un vrai diable et haïssait les enfants de chœur. Il voulait être bon garçon, mais il redoutait d’être bon garçon, car il craignait que ses amis ne le traitent de bon garçon. Il s’appelait Arturo et il aimait son père, mais il vivait dans la hantise du jour où il serait assez costaud pour rosser son père. Il adorait son père, mais prenait sa mère pour une mijaurée doublée d’une idiote. »

John Fante décrit les tentations d’autres possibles de ceux qui en bavent sans tellement d’échappatoire. C’est l’aîné, Arturo, que nous suivons essentiellement, figure d’ailleurs centrale du cycle, pour lequel Fante s’est largement inspiré de sa propre vie. Fils d’immigrants italiens, l’écrivain est né en 1909 dans le Colorado. Pas tendre avec sa condition sociale, il retranscrit dans ses romans son esprit revanchard et la quête d’une vie meilleure, avec humour et autodérision.

« Ces ritals étaient vraiment des ploucs. Suffisait de voir son père qui hachait ses œufs avec sa fourchette pour bien montrer sa colère. Il y avait même du jaune d’œuf sur le menton de son père ! Et sur sa moustache. En vrai métèque, il se devait de porter la moustache, mais était-il vraiment obligé de se coller du jaune d’œuf plein le menton ? »

L’Amérique des années 20 par le style fluide et mordant de Fante, qui pose ici les jalons de son cycle avec le socle familial. Héritage filial, fraternité, regards posés les uns sur les autres, impulsivité, partis pris, failles et actes manqués, comment l’on se construit, les choix qui en découlent, des thèmes universels que John Fante cueille avec brutalité, tourment et parfois un certain lyrisme. Et l’on sent que c’est dans l’ambivalence des sentiments que tout se joue, la honte et la fierté, l’amour et la haine, l’envie et le mépris, et l’on ne peut que vouloir en avoir plus sur ce qu’il adviendra d’Arturo et de ses aspirations.

« En tout cas, il était ravi que son père méprisât la messe. Il ne savait pas pourquoi, mais cela lui plaisait. Il se souvint des arguments de son père. Svevo avait dit : si Dieu est partout, pourquoi devrais-je aller à la messe le dimanche ? Pourquoi n’irais-je pas à la salle de jeu Imperial ? Dieu est aussi là-bas, non ? Ce morceau de théologie horrifiait sa mère, mais Arturo se rappela la faiblesse de la réponse maternelle, la réponse que lui-même avait apprise au catéchisme des années auparavant. Tel était notre devoir de chrétiens, expliquait le catéchisme. Quant à lui, Arturo, il allait parfois à la messe, parfois pas. Quand il n’y allait pas, une grande peur l’étreignait et il se sentait désespéré tant qu’il n’avait pas vidé son sac au confessionnal. »

Bandini
John Fante
traduit par Brice Matthieussent
Bourgois éditeur
1985
266 pages
paru en poche chez 10/18

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4 commentaires sur “Bandini – John Fante (Bourgois)”

  1. Fante : je crois bien que je les ai tous lus il y a une trentaine d’années. J’en ai encore quelques uns sur les étagères, je les relirai un jour.

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