Nommer un livre La chasse aux canards n’est pas anodin. C’est un nom qui joue sur plusieurs tableaux, il y a la fois quelques chose d’enfantin et d’un peu poisseux. On ne sait pas trop si l’on doit rire ou rester grave. Ce n’est que le parti pris de la traduction française puisque dans la version originale c’est le nom de la famille dont il est question qui introduit le roman, De Metsiers (Les Metsiers). Ça produit un peu le même effet finalement, on se doute bien que cette famille n’est pas anodine, ou trop justement, on s’attend à déraper. De mon point de vue du moins. En tout cas c’est ce qui m’a menée là. Jusqu’aux Metsiers, une famille effectivement bancale dans une ferme isolée des Flandres.
Le père est mort pendant une chasse aux canards et la mère a pris Peter, l’employé de ferme, pour amant. Le reste est du même acabit. Des trois enfants, Jules est absorbé par la religion, Yannie est fou amoureux de sa sœur Ana qui de son côté se jette dans les bras du premier venu. Nous sommes à la fin de la Seconde guerre mondiale, l’arrivée d’un soldat américain va faire valser l’équilibre fragile des Metsiers, voire peut-être leur rendre leur liberté.
« Dans l’obscurité, nous retrouvons les objets familiers de la cuisine : la table, les chaises, le poêle, les feuilles de tabac qui pendent très bas, sur un fil, l’odeur grasse mêlée de lait battu, de tabac et de pain fraîchement cuit. Il y a le silence quand nous entrons.
Yannie allume. Les vitres se mettent à briller. L’horloge marque deux heures et demie, ou presque. Tanno s’est réveillé et se frotte contre mes jambes. Nous revoici dans notre forteresse, nous sommes à nouveau réunis pour faire face au village entier, contre tous. »
En 1950, Hugo Claus signait avec La chasse aux canards un premier roman fabuleusement âpre, saisissant la médiocrité avec une écriture sèche, précise et des dialogues nourris au rural rustique. En quelques mots, les portraits sont savamment dressés et une galerie de personnages prend corps progressivement au fil de ce roman choral puissant et troublant.
Hugo Claus a ensuite publié une quinzaine de romans, recueils de poésie et pièces de théâtre. Il a également été peintre, scénariste et réalisateur. Il est considéré comme l’un des plus grands auteurs flamands.
La chasse aux canards / Hugo Claus. Grasset (Les cahiers rouges), 1987