Comment j’ai rencontré les poissons / Ota Pavel (Editions Do)

Tour d’Europe littéraire pour entamer ce troisième round du bookclub Les classiques c’est fantastique, impulsé par Moka et Fanny et aux côtés d’une équipée qui s’épaissit joliment au fil des mois.

Direction la Tchéquie pour ma part avec ce recueil devenu un classique de la littérature tchèque dans lequel Ota Pavel fait se côtoyer avec une verve étonnante anecdotes routinières, drames de l’Histoire, virages politiques et temps qui passe sans jamais se départir de son humour. Des morceaux choisis de sa propre histoire où il raconte notamment son enfance en Bohème, son père, dragueur invétéré, commercial hors pair et pêcheur besogneux, et la rivière comme compagne de chaque instant.

Léo Popper travaillait pour Electrolux, sillonnait les routes des années 20-30 en quête du brave client et de la bonne fortune, au bagout incroyable et à l’argument infaillible, capable de vendre un aspirateur à des paysans n’ayant pas encore l’électricité !

« A Rokycany il passa deux heures debout au milieu de la place, avant de prendre son courage à deux mains, de frapper à la porte de son premier client et réciter pour la première fois la formule qu’on lui avait enseignée et qu’il s’étaient répétée durant tout le chemin depuis Plzen.
– Je représente la maison Electrolux et je vends des aspirateurs estampillés Made in Sweden.
Ce jour-là, le monsieur n’avait pas mis papa à la porte. Et il en avait même acheté un. Papa vendit quatre aspirateurs à Rokycany dans la même journée, ce qui était un exploit pour un novice, car les gens étaient attachés depuis des centaines d’années à leurs balais et leurs balayettes, considérant un aspirateur à deux mille couronnes comme une invention du diable et de surcroît parfaitement inutile. »

Au fil des textes se dessine aussi et surtout cet étroit rapport à la pêche, aux rivières, aux poissons, qu’ils soient nourrissants ou fruits de défis relevés, par l’entremise de son père toujours, à la créativité débordante. Nous allons suivre ses projets, obsessions et mésaventures par l’oeil du petit garçon devenu adulte qui médite sur l’histoire de sa famille.

« Tout comme les nuages, la rivière passait par des lieux où nous avions connu le bonheur. Je regardais ses courants, ses poissons qui sautaient au-dessus de la surface, ses moulins sur les déversoirs et les seuils dans les eaux endiguées. Les meuniers qui continuaient encore à moudre et les passeurs qui faisaient l’aller-retour d’une rive à l’autre. Après six ans, je revoyais la rivière. J’avais le visage collé à la vitre pour ne rien manquer du spectacle. J’aimais cette rivière plus que tout au monde et à l’époque j’en avais honte. Et je ne savais pas pourquoi je l’aimais tant. Peut-être parce qu’elle abrite des poissons, ou parce qu’elle est libre, sans entraves ? Parce qu’elle ne s’arrête jamais ? Parce qu’elle bruisse en vous empêchant de dormir ? Parce qu’elle existe depuis toujours et que ses eaux meurent chaque jour quelque part au loin ? Ou qu’on peut y naviguer ou s’y noyer  ? »

Otto Popper est né à Prague en 1930 d’un père juif et d’une mère chrétienne. Il grandit au départ sans trop d’embûches jusqu’à ce que les allemands investissent la Tchécoslovaquie qui sera divisée durant six ans et conduira la famille a déménager et faire profil bas. Le père et les deux frères aînés de l’écrivain seront tout de même envoyés en camps de concentration, d’où ils survivront. Plus tard Otto se mettra au hockey en plus de la pêche, deviendra reporter sportif, prendra le nom de Ota Pavel. Il traversera dans les années 60 plusieurs épisodes maniaco-dépressifs, qui le conduiront à se mettre en pause quelques temps et déclencheront l’écriture des nouvelles qui composent le présent recueil. Il décèdera prématurément à l’âge de 42 ans d’une crise cardiaque et restera parmi les écrivains marquants du pays, et son recueil un classique de la littérature tchèque.

« Bien du temps s’était écoulé depuis ce jour. Que devenait Hugo ? Peut-être qu’à la place du pain estampillé, il poussait des charrettes de cadavres pour les emmener à l’incinération, et ces morts avait un numéro tatoué qui ne leur servirait plus ni sur terre ni au ciel. Il paraît que le Bon Dieu vous reçoit au ciel dans un tout autre ordre. Nous, nous vivions encore là. Maman. Moi. Voilà pourquoi je partis à l’étang du moulin chercher la grand-mère carpe avec ses quatre barbillons. »
Avec une verve étonnante, Ota Pavel fait se côtoyer anecdotes flamboyantes, recueillement en bord de rivière, la seconde guerre puis le virage communiste en toile de fond. Une trentaine de courts textes aux allures de nouvelles, à l’humour vif, à l’émotion subtile, à la candeur cocasse, que l’on découvre progressivement avec enchantement, curiosité, sensibilité et impatience. Une lecture revigorante, Erri De Luca en fait d’ailleurs l’article et l’on ne peut qu’abonder dans son sens. Une très belle surprise qui restera sans nul doute dans mon panthéon des classiques (carrément !).

« C’était une perche, de la grosseur d’une casquette rouge à carreaux, mais elle était verte, d’un vert violacé, rayé de couleurs sombres. Elle déployait ses nageoires rouges, comme les drapeaux dans une bataille ; elle avait un dos de taureau. A la place des yeux, des piécettes d’or vif. Des lances hérissées se dressaient sur son dos. Ce n’était pas un poisson, c’était un dragon, un chevalier en cuirasse avec un casque au plumet rouge. »

Comment j’ai rencontré les poissons
Ota Pavel (1930-1976)
traduit du tchèque par Barbara Faure
Editions Do
2016
paru initialement en 1971
225 pages
Existe aussi en poche chez Folio

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Prochain rdv fin juin autour de l’Art…
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6 commentaires sur “Comment j’ai rencontré les poissons / Ota Pavel (Editions Do)”

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