Les lettres françaises retiennent Robert Penn Warren comme le jumeau malheureux de Faulkner. Même époque, même région d’observation, même enthousiasme dans l’écriture qui les a portés tous les deux au panthéon de la littérature d’outre-atlantique.
Même si Faulkner a eu un rayonnement mondial, qu’on ne s’y trompe pas cependant, Warren ne produit pas une littérature qui serait un erzatz de celle du maître sudiste du roman noir, il a un style et convertit des tourments qui sont tout à fait comparables à ceux du prix Nobel, même si il a remporté de moindres distinctions(enfin moindres….).
Tous les hommes du roi est considéré comme son chef-d’œuvre. Et il s’agit d’un roman absolument bouleversant, marqué par une profonde mélancolie, un roman d’une grande lucidité sur la condition humaine dont il embrasse une grande tranche sur la surface de son terrain d’exploration.
Le narrateur de ce livre est Jack Burden, journaliste du Sud, proche d’un animal politique local, Willie Stark en passe de devenir sénateur, et le récit commence comme un roman noir.
Une voiture file sur une route reliant deux points géographiques de la campagne du politicien, ce qui va entraîner Jackie à relier deux points de leur vie commune dans sa narration.
On en apprend dès lors plus sur cet homme politique, ses motivations. Lui qui a conquis la lumière, pour se fondre dans l’ombre afin de faire triompher son idée de la justice. On ne sait pas si l’on doit l’aimer ou le détester, rien n’est simple, rien n’est acquis et l’on sort toujours d’une zone ténébreuse pour en rejoindre une autre, en transitant par des îlots de noblesse.
Et ce sera l’enjeu de tout le roman, le destin de Jack sera de plus en plus lié à celui de son « Boss », mais ce point de vue excentré sur la machine politique ne sert qu’à démontrer ce fait : on a les politiciens que l’on mérite et comme le martèle Warren à travers ses personnages, l’être humain ne fait que quitter la pestilence des couches pour rejoindre la puanteur du linceul….
Peu d’espoir donc, mais devrait-il y en avoir ?
L’histoire de Jack est jalonnée de déceptions et de prises de conscience, lui qui se rêvait historien finira écrivaillon, et ni l’amour, ni l’amitié, ni l’admiration d’un maître, ne lui offriront de passage à gué dans ce marécage qu’est son existence.
Et cette histoire a vraiment quelque chose d’éternel qui ne semble pas vraiment atteint par la patine du temps. Parlant rapidement, je pourrais dire que ce récit qui prend place dans les années trente parle de notre époque, mais il est tellement universel qu’il pourrait aussi bien se situer à la Renaissance ou dans la Rome antique, le fond en serait le même.
C’est là la marque évidente d’un grand roman, Robert Penn Warren fait partie de ces génies méconnus de la littérature et Manchette ne s’y était pas trompé.
Le style lui aussi est magistral. Souvent clinique, il est parfois porté par un souffle poétique d’une légèreté et d’une beauté rares. Warren fait des incises philosophiques qui confinent à la métaphysique. Et la construction de l’ensemble est remarquable, avec des strates chronologiques différentes travaillées les unes dans les autres, qui créent des tensions qui courent sur tout le roman.
Ce livre est son chef d’œuvre, mais il y a en ce moment la réédition d’autres ouvrages de ce maître, notamment Le cavalier de la nuit chez Séguier.
Lisez Robert Penn Warren.
Tous les hommes du roi
Monsieur Toussaint Louverture
636 pages
Voilà un enthousiasme qui me ravit d’autant plus que ce titre m’attend dans ma bibliothèque !