Michel Jean est issu de la communauté innue de Mashteuiatsh, du côté du lac Saint-Jean au Québec. Par sa plume, sa kukum – sa grand-mère – se raconte. Orpheline québécoise née en 1882, élevée par un couple de fermiers, elle tombe folle amoureuse d’un innu à l’adolescence et quitte très rapidement tous ses repères pour construire sa vie autour de cette communauté, au sein de la réserve.
« L’amour est une chose que tous comprennent, peu importe la langue dans laquelle il s’exprime. »
Par son histoire, tant magnifique qu’exaspérante, Michel Jean restitue l’esprit innu, la vie au fil des saisons et du fleuve puis progressivement les drames surgis de la colonisation, les bois soudainement exploités, les enfants arrachés à leurs familles, l’acculturation forcée, la perte de repères, l’alcool comme mirage.
Almanda Siméon était éprise de liberté, d’amour, de curiosité, et sa vivacité, son mordant, sa ténacité ne peuvent qu’être pris en exemple. Un texte sensible, pudique, éclairant, une histoire familiale transmise très sobrement, dessinant au final une fresque nécessaire sur les peuples autochtones nomades du nord Canada.
« De nos jours, les jeunes lui préfèrent le français qu’on leur enseigne à l’école. Ces petits grandissent aveugles de leur passé, orphelins de leurs origines. Mais qui s’intéresse à tout ça, maintenant ? À part les vieux débris comme moi, pour qui le passé constitue l’unique trésor ? »
On constate depuis quelques temps un intérêt grandissant pour la littérature valorisant les peuples autochtones, la parole donnée ou en tout cas la lumière faite sur celles et ceux que l’on a trop longtemps voulu museler, voire gommer. Une prise en considération tardive mais non moins nécessaire qui en dit long sur le manque de respect total de nos sociétés dites modernes, et qui fait étonnamment écho à ce qui se trame encore et toujours vis-à-vis de certaines populations, les mises au ban, les dévalorisations, l’infantilisation, la condescendance, la destruction.
« C’est difficile d’expliquer le territoire d’avant. Le bois d’avant les coupes à blanc. La Péribonka d’avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d’une montagne à l’autre jusqu’au-delà de l’horizon, visualiser cet océan végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière qui ressemble à un fleuve. C’est ardu à expliquer parce que cela n’existe plus. Les usines à papier ont dévoré la forêt. La Péribonka a été soumise et souillée. D’abord par la drave, puis par les barrages qui ont avalé ses chutes impétueuses et créé des réservoirs dont l’eau nourrit maintenant les centrales électriques. «
Les éditions Dépaysage sont basées à La Roche-sur-Yon et se consacrent aux peuples autochtones, en particulier d’Amérique du Nord, et à l’anthropologie. Une littérature qui approche l’humain et le confronte aux grands problèmes et enjeux contemporains. Des romans aux fonds passionnants et à la forme ultra-soignée. A découvrir !
« Je ne suis qu’une vieille qui a trop vécu. Toi au moins, mon lac, ils ne peuvent rien contre toi. Tu es immuable. «
Sur le même sujet, un autre excellent roman, noir cette fois, Grise Fiord de Gilles Stassart, et le terrible reportage de Joe Sacco, Payer la terre.
Kukum
Michel Jean
Editions Dépaysage
2019
296 pages
Ce livre m’attend toujours sur ma table de chevet…