Le dernier jour d’un condamné – Victor Hugo

Victor Hugo vs Marcel Proust ce mois-ci pour le « retour » aux classiques chaleureusement impulsé chaque mois par Moka et Fanny. Alors qui du barbu ou du moustachu l’emportera ? Pour ma part, encore trop peu de temps et d’attention disponibles pour un pavé ou une écriture alambiquée, Proust restera donc encore un peu sur la touche. Hugo s’impose alors, finalement juste effleuré jusqu’à présent, des extraits, des passages, dans le cadre scolaire essentiellement, il était donc plus que temps que je m’y plonge véritablement, et autant dire que ce n’est qu’un début.

Lorsque Le dernier jour d’un condamné paraît en 1829, Victor Hugo est un jeune écrivain avec déjà quelques publications à son actif mais le parti est pris pour celui-ci de le publier de manière anonyme. Après avoir bien fait jasé, le texte sera réédité trois ans plus tard sous son nom, enrichi d’une longue préface par Hugo himself. Car ce texte est éminemment politique, s’opposant fermement à la peine de mort alors bien ancrée dans les moeurs. Victor Hugo pose son plaidoyer avec une radicalité qui fait grincer les dents de l’époque car il est sans appel. Et pour preuve, on ne sait rien du type qui est dans le couloir de la mort, juste qu’il va y passer d’ici six semaines, quelques jours, demain, qu’il est face à lui-même, la trouille au ventre devant ce qui s’étend comme une mare d’huile en lui, sensation extrême tenant à la fois du précipice vertigineux et du mur en béton sans échappatoire.

« La prison est une espèce d’être horrible, complet, indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie ; elle me couve, elle m’enlace de tous ses replis. Elle m’enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer, et me surveille avec ses yeux de geôlier. Ah ! misérable ! que vais-je devenir ? qu’est-ce qu’ils vont faire de moi ? »

L’homme est condamné à mort. On ne sait ni qui il est, ni pourquoi il est là. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il vient d’être jugé coupable, qu’il est condamné à mort, et que dans son attente insoutenable et il a choisi de livrer ce qu’il traverse dans son journal, à moins qu’il ne s’agisse de se délivrer de toutes ses introspections à deux doigts de le rendre fou. Et c’est ce journal que nous découvrons, circulant à ses côtés du tribunal à sa cellule à Bicêtre, au cachot ou sur la Place de Grève. 

« Si tout, autour de moi, est monotone et décoloré, n’y a-t-il pas en moi une tempête, une lutte, une tragédie ? Cette idée fixe qui me possède ne se présente-t-elle pas à moi à chaque heure, à chaque instant, sous une nouvelle forme, toujours plus hideuse et plus ensanglantée à mesure que le terme approche ? Pourquoi n’essaierai-je pas de me dire à moi-même tout ce que j’éprouve de violent et d’inconnu dans la situation abandonnée où me voilà ? Certes, la matière est riche ; et, si abrégée que soit ma vie, il y aura bien encore dans les angoisses, dans les terreurs, dans les tortures qui la rempliront, de cette heure à la dernière, de quoi user cette plume et tarir cet encrier. »

Quel crime a-t-il commis, avait-il des circonstances atténuantes, serait-il victime d’une injustice, d’un excès zèle ou est-il un être abject capable des pires atrocités ? Victor Hugo ne lâche rien, la question n’est pas là. Si le bagne compte déjà son lot de pensionnaires, la guillotine reste un usage apprécié et attendu, accessoire macabre de la place publique qui prend presque des airs de fête les jours où les têtes ou les corps tombent. 

« Que ce que j’écris ici puisse être un jour utile à d’autres, que cela arrête le juge prêt à juger, que cela sauve des malheureux, innocents ou coupables, de l’agonie à laquelle je suis condamné, pourquoi ? à quoi bon ? qu’importe ? Quand ma tête aura été coupée, qu’est-ce que cela me fait qu’on en coupe d’autres ? »

Par la voix de cet anonyme qui n’est plus, Victor Hugo interpelle ses semblables, interroge le système judiciaire, partage son indignation, avec colère et méthode. C’est éprouvant, éloquent, coup de poing et ça n’a malheureusement pas pris une ride.

« Ah ! qu’une prison est quelque chose d’infâme ! il y a un venin qui y salit tout. Tout s’y flétrit, même la chanson d’une fille de quinze ans ! Vous y trouvez un oiseau, il a de la boue sur son aile ; vous y cueillez une jolie fleur, vous la respirez : elle pue. »

Le dernier jour d’un condamné
Victor Hugo
1829
140 pages
lisible aussi librement en numérique

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Prochain rdv fin novembre avec des titres qui comportent un prénom…
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7 commentaires sur “Le dernier jour d’un condamné – Victor Hugo”

  1. Tu donnes très envie de lire ce titre d’autant plus que vous êtes déjà trois à en avoir parlé ; théâtre pour moi mais je parle un peu des combats politiques et sociaux de Hugo dans mon billet donc peut-être une prochaine lecture 😉

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