Enceinte jusqu’aux dents, Victoria Gonzales se traine dans les rues grises de Barcelone. Elle vient de recevoir une forte somme d’argent, de façon anonyme, et une requête, faire la lumière sur l’enlèvement de deux fillettes. L’une a été retrouvée morte, atrocement mutilée, l’autre reste introuvable. Affublé de son fidèle ami Jesus, imbibé de bière jusqu’au trognon, la détective va devoir renouer le contact avec de vieilles connaissances et lutter contre ses vieux démons.
Les personnages mis en scène par Cristina Fallaras sont profondément marqués et évoluent dans un décor glauque et suffocant. Le personnage de Victoria par exemple n’est pas très conventionnel dans la littérature, si noire soit-elle. Ex journaliste ratée et ex junkie, Victoria n’est pas de ces femmes qui jouent la carte du glamour. Cette femme-là porte une rage profonde, noire et poussiéreuse.
L’auteure met à la fois le doigt sur la notion de choix et sur leurs répercutions, sur des valeurs fortes comme peut l’être l’amitié franche à tout prix, et insiste sur la violence quotidienne et latente.
Un roman très contemporain sur fond de crise sociale où l’intrigue est finalement secondaire, et surtout prétexte à plonger le lecteur dans une ambiance et un contexte particulier.
Malgré quelques longueurs et certains choix discutables (je n’ai pas bien compris l’intérêt des séquences de tortures animales…), nous avons quand même là un roman qui vaut le détour, avec un portrait de Barcelone brossé à contre-courant des cartes postales qui vendent du rêve (la peau colle de poussière et de moiteur, et ce n’est pas clairement pas les effets d’une plage brulante…), le tout porté par une écriture sèche, acide et engagée qui me poussera sans nul doute vers les prochains livres de cette Cristina Fallaras (En savoir plus sur l’auteure).
Un roman très noir à conseiller aux amateurs du genre. Pour les autres qui voudraient tenter les romans noirs d’auteurs hispanophones, tentez plutôt ceux de Guillermo Arriaga, ou les nouvelles du recueil Mexico Noir, qui dans le genre, sont absolument remarquables !
« La rue Joaquin Costa dans le quartier du Raval à Barcelone est un territoire de Philippins, de Pakistanais, de quelques Marocains et d’une horde de pouilleux qui tiennent à peine debout. Deux ou trois bars à cocktails égarés attirent à la tombée du jour quelques jeunes modernes et une poignée d’aspirants à la condition d’intellectuel tatoué, sans changer d’un iota la nature de l’étroit passage sale. Si on y prête attention, on peut observer sur les petits balcons des fillettes en culotte en train d’attendre que leur mère obtienne du client une éjaculation rapide. S’il y avait des assassinats en ville, ils pourraient facilement se produire dans cette rue et ses environs. Mais il n’y a pas d’assassinats, et sur les trottoirs s’entassent des ordures, des ivrognes, des vendeurs ambulants, de jeunes dealers de méthamphétamine orientale, de la graisse de kebab, quelques tomates écrasées en décomposition, et des étudiants.
La calle del Leon, la rue du Lion, est sa parallèle, plus sombre, moins évidente et peu plus propre que Joaquin Costa. Elles sont reliées par deux autres rues, Paloma, la Colombe, et Tigre : un zoo pour lequel la détective Victoria Gonzales ressentait la même fascination que quand, dix ans plus tôt, elle avait décidé d’ouvrir à cet endroit un cabinet de détective privée, façon de s’inventer un personnage qui tempère ses addictions. »
Deux petites filles / Cristina Fallaras. Métailié « Noir ». 2013
(Challenge Thrillers et polars #01)