L’une des petites claques de cette fin d’année avec ce nouveau Colin Niel qui investit cette fois-ci l’univers des gros portefeuilles qui dopent leur adrénaline avec leurs fichues chasses aux trophées. Ici une chasse au lion qui tourne au vinaigre entre la Namibie et les Pyrénées, que nous découvrons au fil des regards entre chasseurs, éleveurs, chassés et gardes nature.
« On s’était intéressé de près à la chasse aux trophées, à ces brutes dont la passion était d’aller tuer des animaux dans des pays lointains, comme Luc Alphand, l’ancien skieur, tristement connu pour avoir abattu des ours bruns et des mouflons géants au Kamtchatka. Pardon, pas abattu : prélevé, c’était le terme qu’ils employaient, ces gens-là. On s’était rendu compte qu’il n’y avait pas que des Américains pour poser sur Internet à côté de leurs victimes, qu’en France aussi il y avait tout un marché et un bon paquet de chefs d’entreprise ou de riches médecins adeptes de telles pratiques. »
Ingénieur en environnement, Colin Niel a travaillé plusieurs années en Guyane, terreau de quatre de ses romans dans lesquels il touches aux diverses facettes et caractéristiques de ce territoire complexe – comment la vie se compose autour du fleuve Maroni, l’Amazonie, la cocaïne – dans des enquêtes construites autour du capitaine Anato, revenu sur ces terres natales qu’il avait quitté pendant son enfant pour la Métropole. Des polars dépaysants, passionnants et instructifs qui s’intéressent autant à l’humain qu’à son environnement, aux mondes qui l’entourent et aux enjeux qui se nouent. Seules les bêtes faisait jusqu’alors un peu bande à part, roman noir intense au coeur des plateaux des Causses avec une passerelle surprenante en Afrique. (Lire l’avis complet ici) Le film adapté au cinéma en 2019 par Dominik Moll est une réussite.
Retour à Entre fauves, cru 2020, avec une jeune tireuse à l’arc experte qui se voit offrir par son père une rare chasse au félin en Afrique Australe. En parallèle, nous évoluons aux côtés de Kondjima et des éleveurs de chèvres dans le désert du Kaokoland en Namibie, et dans les flancs de montagnes pyrénéens où les gardes du parc national préservent le territoire du dernier ours de la région. Encore une fois, Colin Niel explore les points du vue avec finesse et empathie dans une construction chorale dépassant tout manichéisme. Un roman très contemporain, sur la préservation de l’environnement, la cohabitation de l’homme avec la nature, le pouvoir de l’argent, avec un petit côté lutte des classes bien amené, préférant l’ambivalence au coupage de têtes.
« Un frisson me traverse, des pieds à la tête. Une sensation dont on m’a déjà parlé, mais que jamais je n’ai éprouvée. L’impression que les rôles s’inversent.
Que de chasseuse, je suis devenue la proie. »
La chasse aux trophées, un sujet que je connaissais assez peu avant de lire Animal de Sandrine Collette l’an dernier, roman pour le coup ne m’avait pas tellement emballée alors que j’aime beaucoup l’autrice. Un passe-temps morbide qui en tout cas semble avoir toujours le vent en poupe, brassant des sommes colossales et faisant fi des conséquences éthiques et écologiques non négligeables. Colin Niel a pris de parti de rencontrer de nombreux interlocuteurs lui permettant d’étayer finement les protagonistes et les situations, donnant ainsi à lire un roman très immersif et véhément, avec son lot de suées et de grincements de dents.
« Parce que l’histoire des hommes, c’est surtout ça. L’histoire des hommes, c’est l’histoire d’une défaunation à grande échelle, des deuils animaux à n’en plus finir. C’est l’histoire des mammouths, des rhinocéros laineux, des tigres à dents de sabre, des ours des cavernes, des aurochs qui peuplaient l’Europe et que nos ancêtres ont décimés en quelques millénaires. C’est l’histoire des castors géants et des paresseux de six mètres exterminés en Amérique après l’arrivée des premiers humains par le détroit de Béring. En Australie, il y a 50 000 ans, c’est l’histoire des kangourous géants, des lions marsupiaux, des diprotodons, de cette mégafaune que plus jamais on ne retrouvera. »
Plus d’infos sur l’auteur et extraits
Entre fauves
Colin Niel
Editions du Rouergue
2020
342 pages