Le monde est en suspens. Plus d’essence ni d’électricité. La maladie qui s’insinue, laissant sur le carreau pas mal de morts. Deux sœurs se retrouvent dans la maison familiale, presque coupées du monde, en lisière de forêt. L’une passe son temps à danser, pour le jour où tout redeviendra comme avant. Car qui sait si tout ne repartira comme si de rien n’était ? L’autre écrit son journal, et apprend d’arrache-pied pour intégrer une grande école. Mais les jours passent, les denrées s’amenuisent, et elles vont devoir réorganiser leur mode de vie et imaginer un autre futur.
« Je n’ai jamais vraiment su comment nous consommions. C’est comme si nous ne sommes tous qu’un ventre affamé, comme si l’être humain n’est qu’un paquet de besoins qui épuisent le monde. Pas étonnant qu’il y ait des guerres, que la terre et l’eau soient polluées. Pas étonnant que l’économie se soit effondrée. »
Paru en 1996 et édité cette année chez Gallmeister (oh cher éditeur de littéraire américaine qui n’en finit pas de surprendre et de ravir son lectorat), ce roman n’a pas pris une ride. Une alternative beaucoup plus sensible, plus simple, et plus réaliste aussi, que la plupart des romans qui décrivent la fin du monde. Un huis clos en pleine nature qui rend hommage à la magnificence de la forêt et aborde des questions fondamentales, notre dépendance aux énergies notamment, la société de consommation aspirante.
Et en même temps, Jean Hegland décrit très finement la relation fusionnelle qui soude ces deux sœurs, livrant un texte poétique et profond sur l’intime, à la manière d’un récit initiatique, évoquant le lien, le sens des choses, les choix.
« Je me dis parfois que ce serait tellement mieux si l’on devait taire nos désirs, nous débarrasser de notre besoin d’eau et d’abri et de nourriture. Pourquoi s’embête-t-on avec tout ça ? A quoi cela sert-il ? Hormis tenir un peu plus longtemps. »
Un roman déroutant, par l’attente, le temps que les choses se dessinent, par le postulat de l’auteure de ne pas s’appesantir sur le changement en lui-même pour se concentrer sur ses implications dans la vie des filles. Et au fil des pages, on s’installe, car c’est un roman d’atmosphère, un peu comme quand on quitte un rythme citadin assez dense et que l’on se retrouve en vacances à la campagne, il faut quelques jours pour intégrer ce changement de cadence, reprendre le pli de prendre le temps.
A la croisée du récit initiatique, du nature writing et de la fable écologique, un roman troublant qui fait sens, à méditer et à partager.
Dans la forêt / Jean Hegland. Gallmeister, 2017
« Petit à petit, la forêt que je parcours devient mienne, non parce que je la possède, mais parce que je finis par la connaître. Je la vois différemment maintenant. Je commence à saisir sa diversité – dans la forme des feuilles, l’organisation des pétales, le million de nuances de vert. Je commence à comprendre sa logique et à percevoir son mystère. »
Super critique qui colle parfaitement au livre et à son ambiance. Tu lui rends un bel hommage et tout le monde devrait lire ce très beau texte !!
Wahou ! merci Elodie. Je lui souhaite de circuler à ce bouquin. Il aura fallu pour qu’il arrive jusqu’à nous, maintenant profitons-en 🙂
Merci pour cet article qui pousse à consommer du livre!
J’ai pris bonne note de ton avis!
Ravie que ça t’inspire, c’est vraiment un livre à part, à découvrir.