L’Art est au coeur de ce rendez-vous classique du mois de juin, et l’occasion pour moi de rouvrir ce « portrait » retrouvé avec grand plaisir.
« Tout portrait qu’on peint avec âme est un portrait, non du modèle, mais de l’artiste. Le modèle n’est qu’un hasard et qu’un prétexte. Ce n’est pas lui qui se trouve révélé par le peintre ; c’est le peintre qui se révèle lui-même sur la toile qu’il colorie. La raison pour laquelle je n’exposerai pas ce portrait, c’est que je crains d’y avoir trahi mon âme. »
Oscar Wilde nous fait entrer en contact avec Dorian Gray par son portrait dans l’atelier du peintre Basil Hallward qui achève là son chef d’oeuvre ultime. Fou de son modèle, il s’est tant donné dans ce tableau que ce qu’il produira ensuite semblera bien fade. Et pour cause, son ami le dandy Lord Henry avait vu juste en admirant l’oeuvre, à tel point que ledit Dorian ressentira une piquante amertume devant cette sublime jeunesse déjà en train de se faner au fil du temps qui s’écoule. Il avouera même être capable de vendre son âme pour conserver ce visage, ce qu’il adviendra, contre toute attente.
« Aujourd’hui la plupart des gens se consument dans je ne sais quelle sagesse terre à terre et découvrent, quand il n’en est plus temps, que les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais. »
Suivant la philosophie piquante et les recommandations décadentes de Lord Henry, Dorian Gray brûlera la chandelle par les deux bouts, à l’extrême, se complaisant progressivement dans un nihilisme exacerbé, laissant dans son sillage vies brisées et corps sans vie, profitant de la beauté renversante de son visage qui ne bougera pas au fil des années, quitte à en devenir fou.
Oscar Wilde brosse un portrait assez acide du dix-neuvième siècle britannique et interroge la notion d’esthétique, la tentation du mal, le narcissisme moderne, en positionnant l’Art à la fois comme miroir, curseur et marqueur, participant à la métamorphose, témoin muet presque personnifié et pris à parti. Qu’il s’agisse de peinture, de littérature, de musique, l’Art se révèle support de réflexion, objet d’émerveillement, tentative de recueillement ou invitation au crime. Décidément bluffant, et j’en saisi encore plus la teneur aujourd’hui !
« Il existe des péchés dont le souvenir, plus que l’accomplissement, fait le charme ; d’étranges triomphes qui flattent l’orgueil plus encore que la passion et suscitent dans l’esprit plus de joie que n’en reçurent ou n’en recevront jamais les sens. Mais ce péché-là n’était pas du nombre. Il se classait parmi les souvenirs qu’il faut chasser de sa pensée, endormir de pavots, étouffer vite, si l’on ne veut soi-même en être étouffé. »
Le portrait de Dorian Gray
Oscar Wilde
traduction Jean Gattégno
408 pages
1890Retrouvez les autres titres ici ou là.
Prochain rdv fin juillet, ambiance Bord de mer ou grand large…
Si vous souhaitez en savoir plus, voire même rejoindre (régulièrement ou ponctuellement) l’équipée, c’est par là !
Je comprends la relecture, je garde un souvenir marquant de cette lecture ( déjà lointaine ). Ce roman est fantastique dans tous les sens du terme !
Je l’avais lu quand j’étais ado et j’avais adoré, mais une relecture ne ferait sans doute pas de mal, tant pour rafraîchir ma mémoire que pour apprécier davantage cette oeuvre dont je n’avais sans doute pas appréhendé tous les tenants et aboutissants. Merci de donner aussi envie de reprendre ce titre !
Je l’avais lu en anglais quand j’étais en secondaire et j’avais adoré ( comment en être autrement…)
Je suis si heureuse de le voir ici !!
J’ai du mal à relire les livres mais c’est vrai que celui-ci mériterait que j’y revienne. Qu’est-ce que c’est bien !
Jamais lu ! Il me tente bien pourtant.
Magnifique, ce roman, ton billet me donne grande envie de le relire, merci !
Comme Marilyne, j’ai été marquée par cette lecture, faite à l’adolescence (et pas que par la lecture d’ailleurs, je me souviens avoir volé ce livre au Monoprix de ma ville !!). Je le relirai bien aussi, tiens !