Leurs enfants après eux – Nicolas Mathieu (Actes Sud)

Souvenez-vous, les années 90, C17, Rica Lewis, Waikiki, les consoles de jeux, les Gauloises, Nirvana… Déjà 20 ans, presque 30. Il fallait bien ça pour prendre de la hauteur, et méditer sur le contexte de l’époque. L’ère Mitterrand qui passait la main à l’ère Chirac, l’après Trente Glorieuses, les licenciements, le chômage, les désillusions grimpantes.

« Elle serait à la retraite dans quinze ans, si le gouvernement ne pondait pas une connerie d’ici là. C’était loin encore. Elle comptait les jours. Le week-end, elle voyait sa sœur. Elle rendait visite des copines. c’était fou le nombre de femmes seules qui voulaient profiter de la vie. Elles faisaient des balades, s’inscrivaient à des voyages organisés. C’est ainsi qu’on voyait des bus parcourir l’Alsace et la Forêt Noire, gorgés de célibataires, de veuves, de bonnes femmes abandonnées. Elles se marraient désormais entre elles, gueuletonnaient au forfait dans des auberges avec poutres apparentes, menu tout compris, fromage et café gourmand. Elles visitaient des châteaux et des villages typiques, organisaient des soirées Karaoké et des cagnottes pour aller aux Baléares. Dans leur vie, les enfants, les bonshommes n’auraient été qu’un épisode. Premières de leur sorte, elles s’offraient une escapade hors des servitudes millénaires. »

Anthony, Hacine, Stéphanie et une poignée d’autres adolescents, leurs parents, leurs voisins, que nous allons suivre sur la décennie, en les retrouvant tous les deux étés, de 1992 à 1998. Ce roman a déjà été largement évoqué dans tous les médias littéraires, d’autant plus qu’il reste en bonne place pour le Goncourt. Inutile par-conséquent d’en faire des tartines.

« De prime abord, elle donnait une impression de passivité, d’indifférence presque animale, et à la voir comme ça, dolente, vague, on aurait pu penser qu’elle attendait un train sur le quai d’une gare. En même temps, elle était culottée, marrante, acharnée à prendre du bon temps. Elle s’était d’ailleurs pas mal endormie sur le premier pet’. Elle sentait drôlement bon aussi. » 

Après lecture du pitch mi-août, des premiers avis, de la couverture, je m’attendais à un roman sur l’apprentissage adolescent, autour d’une rencontre, d’un premier amour. En fait, il s’agit de bien plus, car nous tenons là une véritable fresque des années 90. Coté ado, initiations et tâtonnements, amitiés, influences, joints qui tournent, tempéraments qui s’affirment, fierté mal nichée, premiers flirts. Chez les adultes, le temps des premiers bilans, les enfants qui échappent, la routine qui a pris du poids, les illusions perdues, les envies qui bougent, les portes qui claquent, ceux qui s’en sortent pas trop mal et ceux qui déchantent. A travers une multitude d’histoires croisées, Nicolas Mathieu fait coïncider histoire personnelle et contexte social, le poids de l’un sur l’autre.

Un roman très contextualisé, vous l’aurez compris, très réaliste, qui subit quelques longueurs par moment mais reste un très bon moment dans cette rentrée littéraire. Pour ma part, c’était assez plaisant aussi, de remonter le temps, le temps d’un roman, dans ces années 90 qui représentent aussi mon adolescence. Ce qui est frappant après coup, c’est s’apercevoir qu’au-delà des références culturelles ou publicitaires inhérentes à l’époque, le contexte n’a pas tellement changé. Et si l’on rapproche ce roman de L’été circulaire de Marion Brunet, paru en début d’année et abordant à peu près les mêmes questions de façon plus contemporaine, on se sentirait presque frappé d’inertie, ça laisse songeur…

« Depuis que les usines avaient mis la clef sous la porte, les travailleurs n’étaient plus que du confetti. L’heure, désormais, était à l’individu, à l’intérimaire, à l’isolat. Et toutes les miettes d’emplois satellisaient sans fin dans le grand vide du travail où se multipliaient une ribambelle d’espaces divisés, plastiques et transparents : bulles, box, cloisons, vitrophanies. »

Leurs enfants après eux
Nicolas Mathieu
Actes Sud
2018
432 pages

Challenge 1% Rentrée littéraire #05

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