L’insoumise de la Porte de Flandre – Fouad Laroui (Julliard)

ou comment traiter d’un sujet d’actualité brûlante avec détachement et intelligence.

C’est toujours un plaisir d’ouvrir un livre écrit par l’un de vos auteurs préférés. La sortie de ce court roman (130 pages seulement) m’avait totalement échappé mais voilà que cette histoire atterrit cette semaine entre mes mains, un peu par hasard.

Fouad Laroui, malicieux auteur maroco-néerlandais, écrit souvent directement en français et c’est une chance, un atout pour notre langue. Cependant, dans le cas présent, pas de jeu avec l’écriture, peu avec le langage. Non, ce pourquoi je voulais rédiger ce bref article, c’est son sujet.

Alors, de quoi est-il question ici ? Ne vous enfuyez pas, les vacances d’été sont là et pourtant je veux vous convaincre de lire une histoire d’islamisme, de radicalisation, de fait divers. Fatima, habillée en hijab (voile qui couvre les oreilles, le cou, les cheveux, laissant uniquement voir l’ovale du visage), sort d’un immeuble de Molenbeek. Elle traverse le quartier puis la ville, entre dans un immeuble de Bruxelles pour se débarrasser de sa tenue. Elle en ressort « occidentalisée » et ne s’arrête pas là. Sa transformation sera encore plus surprenante, pour le lecteur comme pour certains habitants…

Habituellement, Laroui a un style amusant et ses propos sont bourrés d’humour, notamment les situations dont le ridicule saute aux yeux. Ici, le sujet ne prête pas à la gaudriole donc il va falloir traiter le lecteur avec intelligence et prudence : il installe ses personnages dans une réalité, des lieux effectifs, un fond d’actualité prégnant. Cette réalité est contrebalancée par l’utilisation d’un point de vue interne des personnages, traités tour à tour. Le lecteur connaît la pensée intime de chacun des personnages (ils sont peu nombreux, c’est donc très simple à suivre), et en additionnant tous ces points de vue, finit par être omniscient.

Écoutons ce qu’a à nous dire Fawzi, qui prend Fatima en filature, persuadé qu’elle lui est promise car il en a décidé ainsi :

Le cœur du mari présomptif fait un bond. Va-t-elle… Non, c’est impossible. Et pourtant, elle semble bien fixer des yeux une table libre, le long du mur, flanquée de Chinois à la table d’à côté. Elle ne va tout de même pas s’asseoir à la terrasse d’un café ? C’est un motif de rupture, ça ! Et il y a des hommes à côté, fussent-ils chinois. Bon Dieu… Il serre les poings, retient son souffle. Si vraiment elle allait… Il voit rouge… Tout est tellement exigu, elle se frotterait nécessairement… Ce sont des mâles après tout… Ce sera l’esclandre ! Il se sent de force à s’attaquer au continent asiatique tout entier, à l’abattre dans un grand bruit d’assiettes brisées et de ferblanterie, là, dans cette place du Vieux-Marché-aux-Grains.
Fausse alerte ! Elle a repris sa marche.

Croire que tout cela va rester sérieux, c’est mal connaître le sieur Laroui. Il fallait bien que ce brillant auteur ait un but caché : vous voici aux trois-quarts de l’histoire (après 100 pages seulement, rappelons-le) dans une farce  qui moque les débats médiatisés, les interprétations de faits-divers par « une éminente brochette de spécialistes ». Après lecture, la chaîne d’info BFMTV vous semblera encore plus risible.

Bref, voici un court récit qui ne prend pas son lectorat pour une masse de crétins, qui l’accompagne et le récompense. Un roman tout sauf plombant, qui laisse une trace dans les esprits. Bon, si vous êtes frileux, ouvrez au hasard L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine : c’est un recueil de nouvelles du même auteur et c’est idéal à mettre dans la valise cet été !

L’insoumise de la Porte de Flandre
Fouad Laroui
Julliard
2017
132 pages

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