Jeu de dupe en pleine jungle. Un écrivain remet les pieds au Brésil trente ans après en être parti sur les chapeaux de roues. De son passage dans le Mato Grosso, il en a fait un roman, « Un roman brésilien », couchant sur le papier des souvenirs romancés patinés de beauté sauvage, de trafics à peine camouflés et de flicaille corrompue.
Jacques Haret quitte donc la France le cœur léger et impatient de retrouver les sensations encore vives de son Brésil perdu. Qui plus est, il y est invité pour parler de son roman, l’égo flatté ne gâchant en rien sa gaieté trépignante. Sauf qu’à l’arrivée, une vieille connaissance l’attend de pied ferme pour remettre l’histoire à l’endroit.
Ian Manook quitte les steppes de l’Asie centrale et délaisse un temps son commissaire Yeruldelgger pour la jungle brésilienne, un hommage presque, tant les descriptions ici flirtent avec le carnet de voyage. La construction est différente. C’est un roman double, avec un roman dans le roman, comme une porte ouverte sur le passé. Nous évoluons entre deux récits, deux époques, entre réalité, fabulation et règlement de compte.
« Je suis devenu fou de ce pays. De cette nature tirant sa beauté vénéneuse des pourritures qui s’y décomposent. De cette beauté dangereuse où glissent des cascavel mortels, grabouillent des mygales industrieuses, et se tapissent des jacarés aux aguets. Cette folie m’a gagnée. Elle est en moi à présent, là où mes sentiments pourrissent et se délitent eux aussi pour former l’humus de cette déraison qui m’enivre de l’intérieur. »
Je m’attendais à davantage d’action, non pas que ce roman en soit dénué, non pas que j’en recherche à tout prix dans un roman, mais les descriptions m’ont semblé longues voire ennuyeuses, un peu comme quand on vous montre un album de vacances sans tri préalable. Au début c’est sympa mais quand on n’a pas assisté au voyage, à un moment c’est lassant, ce qui est logique d’ailleurs, car nous ne sommes pas dans du documentaire mais sur du souvenir. C’est visiblement l’angle choisi par l’auteur, un terrain glissant. Le roman de l’écrivain fictif tient plus d’un journal de bord que d’un récit aventureux et trépident et l’on ne croit que moyennement à sa publication. Et puis les envolées nostalgiques de ses amours passés sont naïves voire un poil kitschouilles, c’est mignon au début mais à force c’est aussi palpitant qu’une carte postale avec un cheval courant sur la plage dans le soleil couchant… (mais je manque peut-être de romantisme)
« Nous passons nos journées et nos nuits l’un dans l’autre, huilés de sueur et de désir. »
Plusieurs bémols pour ce roman qui me laisse sur une impression mi-figue mi-raisin. Pour autant, le dépaysement est total et l’immersion réussie, on y croise du croco et on mange local. Aussi je préfère ne pas en dire plus et vous laisser vous attabler tranquillement avec ces quelques notes gourmandes, et on en rediscute si vous le lisez.
« Sans répondre je savoure la chair goûteuse du pacu grillé à point, relevé d’un juste molho d’oignons et de poivrons sur un riz blanc un peu sucré. Santana commande une salade d’avocats et de cœurs de palmier, une bière – uma Brahma estupidamente gelata -, un fromage salé avec de la pâte de goyave et deux cafezinhos accompagnés d’un verre d’eau. »
Mato Grosso / Ian Manook. Albin Michel, 2017 (à paraître le 4 octobre)
Merci à Babelio et Albin Michel pour cette lecture.