Le roi n’a pas sommeil – de Cécile Coulon (Viviane Hamy)

Haven, le genre de village où tout le monde se connaît, où un vieux dans un coin pressent les choses, où l’on se demande s’il est bien possible de se défaire de son destin. Nous sommes quelque part dans un coin d’Amérique, nous pourrions tout autant être dans la pampa irlandaise, dans le courant du 20è siècle, et un drame est survenu.

« Personne ne savait réellement ce qui s’était passé. Les volets de la maison demeuraient clos. Les poutres pourrissaient. Aucun parent n’était venu ouvrir la bicoque depuis l’enterrement. Peu à peu,la ville engloutissait ce qui restait de la famille Hogan. Bientôt, l’histoire de Thomas devint une légende du bourg : un mauvais souvenir qui faisait peur aux gosses et alimentait les conversations de comptoir. »

Une mère a bien failli perdre l’esprit. Car son fils lui a causé bien des remous dans le bide. Thomas a poussé à son rythme dans le sillage de son père, malgré l’absence, malgré les efforts de sa mère, un gamin taiseux avec ses casseroles, une pas trop mauvaise vie l’attendait finalement, et pourtant. Je ne préfère pas en dire plus pour vous laisser rencontrer à votre manière la famille Hogan, le docteur O’Brien, le vieux Puppa et tout ceux qui, de près ou de loin, peuplent ce roman.

« Pendant des années, William Hogan avait fait partie de la petite troupe ; Puis il avait dirigé une petite équipe de six ouvriers, amis depuis l’école maternelle. Ces types avaient grandi ensemble : des plantes dont les racines s’entrelacent et ne peuvent jamais s’arracher les unes des autres. Puppa n’échappait pas à la règle. Ses poings avaient cogné les mêmes visages, fait trembler les mêmes épaules. Il ne savait pas à quoi ressemblait la mer, les trottoirs des villes et les enseignes aux couleurs aveuglantes. Il n’avait jamais vu d’animaux tropicaux, il ne connaissait pas le goût des crevettes. Les autres non plus. Et ça ne les dérangeaient pas. Ils vivaient de ce qu’on leur avait montré dans leur enfance, attachés à leur terre telles de jeunes pousses à un sol humide. Ils n’avaient pas besoin du reste du monde pour s’en sortir dignement. »

Avec une force de concision et de précision ahurissante, Cécile Coulon vous fait passer vingt ans avec une famille en 140 pages, avec des tripes et du contenu comme si le bouquin en comptait 400. Car son écriture est attentive, riche en métaphores qui en disent long, avec des descriptions qui tiennent en deux mots et posent le décor, les images vous viennent immédiatement. Un phrasé assuré, direct, qui vous taille un portrait en trois mots, un style d’écriture qui fait frémir, mélange d’élégance et de poigne, qui s’applique à décrire la vie des gens dans toute son humilité. C’est tragique, poétique, magnifique. Oui c’est un coup de coeur.

Je n’aime pas tellement les comparaisons, souvent mal employées, car l’on cite les grands qui sont difficilement comparables. L’exercice est périlleux et pas nécessairement constructif. En revanche, j’ai lu qu’on associait Cécile Coulon à Steinbeck, Capote. Et il y a de ça effectivement, du Stephen King aussi, dans le contexte, dans cette façon de décrire les personnages, dans l’image décrite, le climat sec, tragique, l’humanité bousculée. Cécile Coulon a bien sûr encore un bout de chemin à faire. Le roi n’a pas sommeil est son troisième roman, publié à 22 ans. Depuis, il y en a eu trois autres, dont Trois saisons d’orages paru cette année et déjà couronné par le Prix des libraires.

Une très belle découverte pour moi qui ne vais assurément pas en rester là et je ne saurais trop vous recommander de jeter un oeil à sa bibliographie avant de partir en vacances…

Le roi n’a pas sommeil / Cécile Coulon. Viviane Hamy, 2012
Prix Mauvais genre France Culture 2012
Paru également en poche chez Points

« Parfois, ils se serraient l’un contre l’autre, éblouis par la lumière ; deux chats de campagne qui se lèchent mutuellement les oreilles avant de s’enfuir dans l’escalier d’une cave humide. Ils n’étaient pas heureux. Ils voulaient juste avoir le temps de s’ennuyer, de regarder les plants de salade cuire au soleil sans devoir se lever pour aller les arroser. Petit à petit, ils s’éteignaient, semblables à des bougies dont la cire se consume. »

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