Sur l’eau – Maupassant

Un mois au fil de l’eau pour ce retour aux classiques toujours plus stimulant. L’occasion pour moi de rouvrir un bon vieux Maupassant.

En 1888, l’auteur décide de prendre le large et embarque à bord de son yacht, le Bel-Ami, pour sillonner la Côte d’Azur. Au fil des jours, de son périple, de ses escales, de ses pensées, il rédige un récit de voyage entre navigation de plaisance et digressions bien senties.
« Je jouis avec ivresse de cette fuite muette, continue et tranquille. »

Maupassant laisse transparaître son caractère bien trempé qui aime la compagnie autant qu’il la fuit. L’humain l’interpelle, l’agace, l’émeut, ou parfois le fatigue. Alors il prend la tangente, comme ici, avec deux marins plutôt taiseux à ces côtés pour la partie technique.

« Quel personnage, le vent, pour les marins ! On en parle comme d’un homme, d’un souverain tout-puissant, tantôt terrible, tantôt bienveillant. C’est de lui qu’on s’entretient le plus, le long des jours, c’est à lui qu’on pense sans cesse, le long des jours et des nuits. Vous ne le connaissez point, gens de la terre ! Nous autres nous le connaissons plus que notre père ou que notre mère, cet invisible, ce terrible, ce capricieux, ce sournois, ce traître, ce féroce. Nous l’aimons et nous le redoutons, nous savons ses malices et ses colères que les signes du ciel et de la mer nous apprennent lentement à prévoir. Il nous force à songer à lui à toute minute, à toute seconde, car la lutte entre lui et nous ne s’interrompt jamais. »

A bord il décrit le large, le vent, la côte, les massifs, les rochers et leur histoire comme celle du violoniste Paganini à l’approche de Saint-Ferréol. A terre, ses escales sont autant de prétextes à réflexions très personnelles sur les moeurs de l’époque, l’Histoire passée, la politique, les mondanités, les relations humaines, les amours, et l’on entraperçoit ainsi une partie du dix-neuvième siècle dans son jus, avec la verve mordante de l’écrivain, véritable raconteur d’histoires. 

« Si on pouvait ouvrir les esprits comme on lève le couvercle d’une casserole, on trouverait des chiffres dans la tête d’un mathématicien, des silhouettes d’acteurs gesticulant et déclamant dans la tête d’un dramaturge, la figure d’une femme dans la tête d’un amoureux, des images paillardes dans celle d’un débauché, des vers dans la cervelle d’un poète, mais dans le crâne des gens qui viennent à Cannes on trouverait des couronnes de tous les modèles, nageant comme les pâtes dans un potage. »

Agay, Saint-Tropez. Cannes, il taille des costards, pointe des absurdités, cancane à loisir avec beaucoup d’humour. La Côte d’Azur d’alors n’est pas encore celle que l’on connait. Des salons s’y tiennent et la noblesse a ses quartiers, l’aristocratie tuberculeuse vient en convalescence mais la nature reste sauvage et les ports modestes.

Un récit de voyage qui fourmille d’anecdotes dans un décor de carte postale, une lecture très distrayante parfaite pour la période estivale.

« J’ai dû, ce soir, recevoir un coup de lune, car je me sens déraisonnable et délirant ; et le petit croissant qui descend vers la mer m’émeut, m’attendrit et me navre.
Qu’a-t-elle donc de si séduisant cette lune, vieil astre défunt, qui promène dans le ciel sa face jaune et sa triste lumière de trépassée pour nous troubler ainsi, nous autres que la pensée vagabonde agite ? »

En miroir, un autre texte de l’écrivain qui porte le même titre, Sur l’eau, une nouvelle cette fois, parue initialement en 1876 puis en 1881 dans son premier recueil de nouvelles aux côtés de La Maison Tellier. Deux salles deux ambiances puisque nous sommes ici dans une atmosphère fantastique angoissante. Le fleuve se fait effrayant en opposition à la mer plus fougueuse et plus franche. Les deux textes raisonnent pas mal dans leurs oppositions, avec cette eau symbole de vie autant que de mort.

« Vous autres, habitants des rues, vous ne savez pas ce qu’est la rivière. Mais écoutez un pêcheur prononcer ce mot. Pour lui, c’est la chose mystérieuse, profonde, inconnue, le pays des mirages et des fantasmagories, où l’on voit, la nuit, des choses qui ne sont pas, où l’on entend des bruits que l’on ne connaît point, où l’on tremble sans savoir pourquoi, comme en traversant un cimetière : et c’est en effet le plus sinistre des cimetières, celui où l’on n’a point de tombeau. »

 

Sur l’eau – Guy de Maupassant. 1888. 193 p.

Récit à lire ici, et la nouvelle là.

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Prochain rdv fin août, direction l’Amérique latine…
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