Erica est au bout du rouleau. La cinquantaine fatiguée, elle subit les jours plus qu’elle ne les vit entre un père retord, radin et dépendant et l’absence de son fils qui ne semble pas disposer à donner de ses nouvelles.
Jimmy justement, ce fiston mal dans sa peau et dans sa vie, parti au Texas pour fuir plus que pour explorer, se retrouve dans l’obligation de rejoindre sa mère et ce quartier de Brooklyn qu’il ne pensait pas devoir affronter si tôt.
Tout est brisé est un roman profondément social dans lequel William Boyle décrit avec beaucoup de justesse et d’affection ce quotidien qui peut être lourd et envahissant, la solitude, le désespoir. Erica s’occupe des autres plus que d’elle-même par la force des choses et ressent violemment la monotonie de sa vie. Quant à Jimmy, il fuit ses angoisses dans l’alcool et cherche l’amour comme un appel au secours. C’est un portrait de famille rude qu’il dresse ici, au parcours cabossé et sans échappatoire apparente. Il cerne les relations accidentées, le poids du passé, les malentendus, les regrets, les incompréhensions, les maladresses. Et pour tenter d’y faire face, la nuit, l’alcool, les rencontres.
« En débarquant à l’aéroport de LaGuardia, il eut moins l’impression de renaître que d’être recraché sur un trottoir pour se faire aussitôt écraser sous la botte de quelqu’un. Un New-Yorkais qui a quitté sa ville a l’impression, à chaque fois qu’il revient, de retrouver le New York des mauvais films, au rythme tout ce qu’il y a de plus faux, à la monstruosité artificielle. Il avait toujours pensé que la noirceur de New York était délibérée, et il lui semblait maintenant que le nouvel aspect ensoleillé de la ville devait lui aussi correspondre au choix de quiconque tirait les ficelles. »
William Boyle signe un fabuleux roman, à la fois noir et plein de douceur, de poésie, dans sa description des lieux, des personnages. Il y a de l’intimité, de l’émotion, de l’empathie, comme un hommage à son propre quartier et aux gens qui le font. En toile de fond, la société contemporaine américaine, les problèmes d’argent, les soins médicaux, l’isolement.
La musique est omniprésente, on y écoute Jeff Buckley, Leonard Cohen. Le titre Everything is broken est d’ailleurs directement inspiré d’une chanson de Bob Dylan, et l’on comprend le lien, dans l’écriture, l’ambiance, la mélancolie.
Alors tout est brisé oui, mais c’est toute la force de William Boyle, d’écrire du noir lumineux, et laisser leur chance aux personnages de tout reconstruire.
Son précédent (et premier) roman, Gravesend, situait déjà son action à Brooklyn. Même décor donc mais changement d’angle et de personnages avec un roman toujours noir mais moins polar.
Tout est brisé / William Boyle. Gallmeister (America), Rentrée littéraire 2017
Un grand merci aux éditions Gallmeister et à Léa du Picabo River Book Club pour cette intense lecture.
Tu me donnes envie de découvrir cet auteur ! J’ai été attirée d’abord par la mention de la maison d’édition de Gallmeister (une de mes chouchous depuis quelques années)… Je n’avais jamais entendu parlé de ce livre, et ce que tu en dis séduit ! Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait penser au roman City on Fire (de Garth Risk Hallberg) : le côté perso cabossé, et la musique omniprésente. Je te le conseille si tu ne le connais pas !
J’ai beaucoup entendu parler de City on fire à sa sortie mais je n’étais pas franchement tentée. Ce que tu en dis en revanche va me faire changer d’avis… En attendant, je ne saurais que trop te recommander William Boyle, vraiment belle découverte.