Entre ciel et terre – Jon Kalman Stefansson (Gallimard)

L’an dernier, Jon Kalman Stefansson faisait une entrée très remarquée dans mon paysage littéraire avec le fabuleux et renversant Asta. Ici, retour en arrière avec Entre ciel et terre, son premier roman, et également premier volume d’une trilogie. Un récit qui vibre de la poigne des pêcheurs en mer, de ceux qui naviguent sans prendre la peine de savoir nager, et quand bien même, à quoi bon, l’eau est si froide qu’elle vous cueille sans détour.

Une équipe est embarquée pour la pêche à la morue sur les eaux islandaises. A bord, Bardur, le littéraire, et son ami qui le suit à la trace, et partage sa passion des lettres et des mots. Une passion si dévorante qu’elle a fait oublier à Bardur sa vareuse, le condamnant au froid fatal.

« C’était en ces années où, probablement, nous étions encore vivants. Mois de mars, un monde blanc de neige, toutefois pas entièrement. Ici la blancheur n’est jamais absolue, peu importe combien les flocons se déversent, que le froid et le gel collent le ciel à la mer et que le frimas s’infiltre au plus profond du coeur où les rêves élisent domicile, jamais le blanc ne remporte la victoire. Les ceintures rocheuses des montagnes s’en délestent aussitôt et affleurent, noires comme le charbon, à la surface de cet univers immaculé. Elles avancent, saillantes et sombres, au-dessus de la tête de Bardur et du gamin au moment où ceux-ci s’éloignent du Village de pêcheurs, notre commencement et notre fin, le centre de ce monde. »

Le « petit » va devoir puiser dans ses ressources profondes et mener un long travail et chemin, initiatique, résilient, pour tenter de trouver la paix intérieure, du sens aux actes, et sa propre voie.

Encore une fois, comment ne pas être saisie par ce texte à l’écriture hypnotique, poétique et fougueuse. On y lit la douleur, l’amitié, l’incertitude. Jon Kalman Stefansson nous porte à la manière d’un conteur ou d’un peintre, à la rencontre de la nature et de l’humain, dans sa rudesse, sa beauté et sa sensibilité.

Un roman d’atmosphère enivrant et incroyablement fort.

« Geirbrudur n’est pas d’ici. Et il semble que personne ne sache précisément d’où elle vient ni où elle a été élevée. Elle est arrivée un beau jour au bras du vieux Gudjon le riche. De trente ans sa cadette, peut-être même trente-cinq, haute de taille, avec ses cheveux noir de jais, ses yeux aussi sombres que des boulets de charbon, quelques taches de rousseur pâlottes sur le nez lui conféraient l’apparence de l’innocence et c’était là, pensaient certains, la raison évidente pour laquelle le vieux lui avait succombé, fatigué de la vie comme il l’était, méfie-toi toujours des taches de rousseur. »

Entre ciel et terre
Jon Kalman Stefansson
traduit de l’islandais par Eric Boury
Gallimard (Folio)
2011
252 pages

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