Le Maître et Marguerite – Mikhaïl Boulgakov

Juillet était sous le signe du pavé russe pour l’invitation à la (re)lecture de classiques de Moka et Fanny. Après pas mal d’indécision sur le choix du titre, j’ai fini par me laisser tenter par ce petit pavé à la dimension fantastique.

Dans Le Maître et Marguerite, Boulgakov revisite le mythe de Faust en faisant déambuler le Diable dans Moscou, sous les traits d’un Wolang prestidigitateur ès magie noire qui n’en finit pas de semer le trouble à travers la ville, avec dans son sillage ses acolytes démoniaques Koroviev, Azazel, ou Béhémot, un chat presque humain et tout aussi amateur de cognac. Leur venue renverse les codes, fait tomber les têtes, octroie à certains un petit séjour à l’hôpital psychiatrique, vide les caisses, enfumant tous ceux qui s’y frottent de près ou de loin.

« Il appartenait maintenant aux enquêteurs chargés de démêler cette étrange affaire, qui sentait nettement la diablerie, non sans quelques relents d’hypnotisme et de crime, de réunir en une seule pelote les événements extrêmement divers et confus qui s’étaient produits dans tous les coins de Moscou. »

Et puis il y a Marguerite, qui n’attendait presque que cela, un tel renversement et une telle folie, qui en plus vont la conduire sur les traces de son amour perdu, le Maître, écrivain à la dérive après avoir tout donné dans un roman sur Ponce Pilate et essuyé un échec cuisant, qui tourne en rond en lui-même, loin d’imaginer le chavirement Malin qui finalement serait bien capable de lui sauver la mise.

Un roman étonnant, savoureux, mordant, et tout aussi politique et cynique. Boulgakov était un homme de théâtre, et il a donné à son texte ce souffle vivant et un certain sens du spectacle, fluidifiant la complexité de son oeuvre. Douze années de ré-écriture, des désillusions, une vie pas simple, entachée notamment par la censure et la maladie, et une publication de ce roman à titre posthume, et qui semble-t-il évolue encore pour nous au fil des traductions (les éditions Inculte en proposent d’ailleurs une nouvelle en septembre).

A vrai dire, ce roman est assez indescriptible, par sa multiplicité, sa construction, sa folie. Un texte tourbillonnant, impressionnant et magnifique, à la fois complexe et fluide, flirtant avec le surnaturel pour dénoncer les affres du pouvoir et de la dictature, et donnant un bel aperçu de la société soviétique des années 20-40. La préface signée d’un contemporain de l’auteur est d’ailleurs très éclairante, et sur Mikhaïl Boulgakov, et sur le contexte social et politique. Bref, vous l’aurez compris, je ne saurais que trop vous recommander d’y plonger, un jour, et pour ma part, en parlant de Faust, pointe l’envie de relire le plus court L’étrange histoire de Peter Schlemihl ou l’homme qui a vendu son ombre d’Adelbert von Chamisso, tant aimé il y a quelques (on ne dira pas combien) années. 

« L’amour surgit devant nous comme surgit de terre l’assassin au coin d’une ruelle obscure, et nous frappa tous deux d’un coup. Ainsi frappe la foudre, ainsi frappe le poignard ! Elle affirma d’ailleurs par la suite que les choses ne s’étaient pas passées ainsi, puisque nous nous aimions, évidemment, depuis très longtemps, depuis toujours, sans nous connaître, sans nous être jamais vus, et qu’elle-même vivait avec un autre homme (…)
Oui, l’amour nous frappa comme l’éclair. Je le sus le jour même, une heure plus tard, quand nous nous retrouvâmes, sans avoir vu aucune des rues où nous étions passés, sur les quais, au pied des murailles du Kremlin.
Nous causions comme si nous nous étions quittés la veille, comme si nous nous connaissions depuis de nombreuses années. Nous convînmes de nous retrouver le lendemain au même endroit, au bord de la Moskova. Et nous nous y retrouvâmes en effet. Le soleil de mai nous inondait de lumière. Et bientôt, très bientôt, cette femme devint secrètement mon épouse.(…)
Personne ne connaissait notre liaison. Je m’en porte garant, bien que ce soit là, généralement, chose impossible. Son mari l’ignorait, ainsi que leurs amis. Dans la vieille maison particulière dont j’occupais le sous-sol, on était au courant, bien sûr, on voyait bien qu’une femme venait chez moi, mais on ignorait son nom.
– Qui est-elle donc ? demanda Ivan, intéressé au plus haut point par cette histoire d’amour.
Le visiteur fit un geste qui signifiait qu’il ne le dirait jamais à personne. »

Le Maître et Marguerite
Mikhaïl Boulgakov
traduit du russe par Claude Ligny
Robert Laffont (Pavillon poche)
1968
et en numérique libre ici

 


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7 commentaires sur “Le Maître et Marguerite – Mikhaïl Boulgakov”

  1. Je suis ravie de trouver ce roman dans nos chroniques russes. C’est un bijou fou et c’est à ce jour le plus beau roman russe que j’ai lu. Je l’ai lu lorsque j’étais étudiante et c’est avec lui que j’ai fait mes premiers pas vers la littérature russe (en n’ayant jamais entendu parler de lui avant de l’étudier…)

    1. Un bijou fou, c’est exactement ça ! Et j’ai beaucoup aimé tes mots dessus aussi, j’imagine que la relecture doit être quelque chose aussi !

    1. La construction de ce roman n’est pas simple à résumer, alors comme je suis contente d’avoir réussi à piquer ta curiosité ! 🙂 merci pour ce rdv terriblement motivant !

    1. J’y suis entrée un peu par hasard, en cherchant sur quel roman je jetterais mon dévolu pour le « pavé russe » et quelle aventure ! C’est vraiment une expérience folle, mais il faut accepter de se laisser porter et naviguer un peu à vue parfois, car c’est tourbillonnant 🙂

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