Du bon noir balèze, bien serré, et fumé avec ça
Il y a quelques mois, je sortais profondément marquée de la lecture de Par les rafales, premier grand roman de Valentine Imhof, qui m’avait laissé sur le carreau avec une profonde envie d’irish coffee (cherchez pas, il y a une scène où les protagonistes sirotent du whisky chaud… dans mon palais, le raccourci a été vite vu). Qu’elle ne fût pas ma joie de remettre le couvert.
Des femmes sont retrouvées carbonisées dans un parc à Milwaukee. Les lieutenants Mia Larström et Peter McNamara sont sur le coup, mais le goût amer de la redite se fait furtif puis de plus en prégnant au fur et à mesure que le déjà-vu s’affirme. Autant dire que les flics sont sur les dents, se débattent avec leurs fantômes, leur flair en déroute, leurs questionnements, leur fierté, leurs casseroles, ceux qui se glissent dans leurs pas et cherchent à se faire remarquer tandis que d’autres voudraient bien se faire oublier. Pendant ce temps, un homme continue de chercher celle qu’il a façonnée, un jour, et qui s’est envolée, dans un éclat de flamme.
Décidément, Valentine Imnoh cultive et excelle dans l’art de façonner des personnages alambiqués, tortueux, saisissants, notamment des figures féminines fortes et troublantes. Cette fois, nous plongeons dans l’univers du latex et des soirées BDSM faisant encore monter d’un cran la température. Les chapitres courts et l’alternance des regards ouvrent la voie à un puzzle qui en a dans le bide, entre polar noir et thriller méchamment trépidant, me rappelant par moments le troublant Mygale de Thierry Jonquet.
« Tout ça finit par se déliter, tôt ou tard, tout le monde morfle un jour où l’autre… Sans exception. »
Nous tenons donc là une grande dame du roman noir littéraire et musical, qui démontre un vrai talent à surprendre et ficeler des scénarios, aiguisant les sens (et les oreilles) avec une écriture (et une bande-son) à la fois brute et charnelle (imaginez plutôt l’atmosphère avec Hüsker Dü, Nine Inch Nails, Sonic Youth, SPK, Arcade fire, pour ne citer qu’eux…). Vous l’aurez compris, l’autrice joue sur plusieurs tableaux, sondant les revers de la mémoire et des corps, la fragilité et la force qui y sont rattachées.
« Le café vient d’entrer en éruption derrière elle. Elle sort deux mugs et y verse la décoction bouillante, qui a la viscosité du bitume et semble napper la faïence à la manière d’une marée noire. A la première gorgée, toutes les papilles de Peter se hérissent et se contorsionnent. Mia virevolte maintenant dans le salon, derrière lui, et fourrage bruyamment dans les cartons de CD. Elle lance un vieux Revolting Cocks. Al Jourgensen annonce la couleur sur fond de sirènes et de pâles d’hélicoptère.
Cet album est fait du même fiel que le café. Une musique de circonstance. L’orage gonfle et gronde, ça ne va pas tarder à claquer. Peter, en phase terminale de réveil, est sous le coup d’une double agression, simultanée et abrasive. Les dernières traces de torpeur qui se tapissaient au fin fond de ses cellules se vaporisent. Il boit le poison par petites prises, un concentré à ranimer les morts, et réagit aux rafales électriques que lui envoie Linger Ficken’ Good.
Mia vient de créer un monstre en le forçant à s’extraire du mauvais pied d’un mauvais rêve avec un mauvaise café bu sur de la bonne musique mais au mauvais moment. »
Zippo
Valentine Imhof
Le Rouergue (noir)
265 pages
Rentrée littéraire 2019