Juste après la vague – Sandrine Collette (Denoël)

Un volcan s’est effondré. Le climat s’est pris un coup dans le nez et les vagues se sont déchaînées en même temps que le niveau de la mer a monté sans sourciller, sans même donner l’illusion de vouloir s’arrêter un jour. L’eau a fait disparaître les terres, les villages, les gens. Une famille est toujours debout, avec sa maison perchée tout en haut, mais plus pour longtemps, l’évidence est glaçante. Une famille avec neuf enfants, et une barque bien trop juste pour les contenir tous.

Sandrine Collette frappe encore une fois très fort avec un roman noir à vous coller des suées. Ici, nous ne sommes pas dans la noirceur humaine mais dans celle qui vous cueille avec fatalité. Ce qui permet à l’auteure de se pencher sur les ressentis du désespoir, celui qui chavire et fait tenir, celui qui cause des creux dans le bide et peut donner des ailes aussi. Nous suivons ainsi les histoires parallèles, des embarqués et des restés à terre.

« Ils mettent des vêtements secs, encore tremblants. Perrine a pris des oeufs, en a cassé trois qu’elle a mélangés et sucrés avant de les couler dans la poêle avec une galette. Dans une casserole à côté, elle met à chauffer le lait et quelques carrés de chocolat, ordonnant à Noé de remuer doucement. Le temps de passer un pull, cela sent le gâteau, le grillé, la crêpe. Ils salivent, les yeux brillants. Manger les réconcilie et les dénoue : ils racontent la tempête, brodent un peu, rient de leurs hématomes et de leur chance. Pas une fois ils ne se demandent si la mer se relèvera bientôt. Ils regardent au-dehors les vagues encore hautes, le vent qui jette la pluie sur les fenêtres en les faisant reculer chaque fois avec un sursaut, les mains ouvertes devant les courants d’air. Partagés entre le sentiment d’être à l’abri et la crainte qu’une rafale n’emmène la maison entière, ils bavardent, s’interrompent, causent à nouveau. La tempête les inquiète malgré sa force décroissante ; ils serrent les dents en silence, guettant le bruit de l’eau et du vent, espérant que tout s’éloigne. Une heure après, la mer est presque calme, ils l’observent toujours, elle et les déchets qu’elle a remontés depuis les fonds obscurs, des morceaux de bois bloqués pendant des mois ou des années et les tourbillons sous-marins ont rendus à la surface, petits débris épars flottant sur l’océan tels des poissons morts. 
La mer est calme et ils sont là tous les trois avec cette étrange douleur dans le ventre, en haut à gauche. »

On peut lire ce roman de mille façons, comme un récit d’anticipation, un thriller, comme un roman noir profondément social ou écologique, en pensant à ceux qui fuient, ceux qui se protègent, aux catastrophes, un roman sur les relations filiales, comme un roman d’aventure ou un drame. Sandrine Collette rassemble les genres, les croise, avec toujours une finesse qui fait froid dans le dos. Nous ne sommes pas dans du post-apocalypse mais dans l’apocalyptique même, dans la survie inhérente, cloué que l’on est face aux démêlés à rallonge des personnages. 

On ressent bien quelques longueurs, de fait, car le contexte est fait d’inertie dans un sens, avec peu d’échappatoires à priori. Ce n’est pas mon préféré, mais après Les larmes noires sur la terre, dont j’ai encore du mal à me remettre, ce n’était pas évident. Mais je suis toujours impressionnée, par la plume de Sandrine Collette, ciselée, puissante, percutante, par sa manière d’exprimer les sentiments, de presser ses personnages pour en extraire tout le jus.

Sandrine Collette vous oppresse et vous émeut en même temps, c’est passionnant, violent, terrifiant, et tout aussi beau. Foncez-y. 

Juste après la vague
Sandrine Collette
Denoël (Sueurs froides)
2018
301 pages

Les autres romans de Sandrine Collette sont aussi sur le blog :
Des noeuds d’acier
Un vent de cendres
Six fourmis blanches
Il reste la poussière
Les larmes noires sur la terre

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