Shuggie Bain – de Douglas Stuart (Le Globe)

Enorme coup de coeur pour ce roman noir, prolétarien, social, qui pose le regard sur les laissés-pour-compte. Ce n’est certes pas très nouveau, on peut d’ailleurs rapidement penser à pas mal de monde, à ceci près qu’ici, lumière est faite sur une anti-héroïne, qui oscille à la fois péniblement et admirablement entre destin peu engageant, alcool réconfortant, entourage à couteaux tirés, atmosphère Thatchérienne en guise de rouleau compresseur et bouffées d’espoir sursautantes.

Les sorcières de Salem – Arthur Miller

Les histoires qui disent l’Histoire sont à l’honneur ce mois-ci pour le retour aux classiques. Ici, un pan de l’Histoire qui remonte à la fin du dix-septième siècle, alors qu’une chasse aux sorcières sévit aux abords de Salem dans le Massachussets. En 1692, 22 personnes seront exécutées pour soupçon de sorcellerie, pratique faisant un peu désordre dans une société au puritanisme un brin chatouilleux.

Frankie Addams – Carson McCullers

Avec Frankie Addams, l’autrice célèbre l’adolescence dans toute sa complexité. Un thème qui lui est cher et qui occupe ici le devant de la scène, dans toute sa splendeur et ses tiraillements, avec le portrait franc et subtil d’une adolescente de douze ans pour qui le mariage de son frère cristallise en quelque sorte tous ses questionnements, ses envies, ses rejets. Trois jours durant lesquels elle va se projeter, rêver, changer, s’en prendre dans les dents aussi.

Nouvelles de prison – Albertine Sarrazin (Le Chemin de fer)

Albertine Sarrazin, une autrice déterminée et affirmée à la vie trop courte et à l’oeuvre remarquable. Ses récits conjuguent verve argotique, poésie, regard franc et une certaine finesse audacieuse dans la langue. Dans ces Nouvelles de prison, elle décrit des scénettes d’un quotidien carcéral rythmé par le travail de couture, les jours de lessive, le café ou les fêtes de Noël. Des épisodes au cours desquels nous croisons co-détenues et surveillantes, amies sincères ou compagnies détestables. Un quotidien en huis clos qu’elle relate avec légèreté, humeur et humour, décrivant ce qui s’y noue et ce qui se joue, dans ce décor qu’elle côtoiera durant huit ans.

Thérèse et Isabelle – Violette Leduc

Violette Leduc a beaucoup officié dans l’autobiographie, racontant notamment ses émois, ses amours, sa manière d’être femme à travers son histoire. Dans Thérèse et Isabelle, elle relate une histoire d’amour qui durera trois jours et trois nuits, lors de son passage au pensionnaire de Douai dans les années 20. Thérèse a alors quatorze ans et ses sens encore balbutiants vont littéralement flamber avec impétuosité.

Hérésies glorieuses – Lisa McInerney (La Table Ronde)

On se pose un moment à Cork, Irlande, où l’on croise le magouilleur Jimmy Phelan qui vient de rapatrier sa mère au pays après un exil anglais forcé, et où l’on suit leurs retrouvailles dérapantes, surtout quand la Maureen en question dézingue par erreur un type, déclenchant un sacré foutoir dans les affaires du fiston et de tout un tas de gens dont Tony et Ryan Cusack qui vont voir leurs trajectoires vriller, même si le tableau n’était déjà pas joli joli. Un roman réaliste, corrosif, impitoyable, revigorant, un bijou de noirceur à découvrir !

Lumière d’été, puis vient la nuit – Jon Kalman Stefansson (Grasset)

Dans un coin d’Islande bien loin de Reykvavik, dans un petit bled sans église ni cimetière, l’auteur nous raconte une poignée de vies millimétrées sur le point de se défaire de leurs carcans. Huit histoires croisées, entre destinées ordinaires qui sortent de leurs gonds et chroniques sociales qui se dessinent autour de lieux emblématiques – la laiterie, l’abattoir, la coopérative. Huit chapitres où les désirs prennent forme, où les illusions s’affirment ou se fracassent, où les relations se nouent, les corps se tendent, les envies deviennent des armes. 

Des souris et des hommes – John Steinbeck mis en images par Rébecca Dautremer (Tishina)

Faut-il encore présenter Des souris et des hommes ? Dans ce court roman qui pose les jalons des Raisins de la colère, John Steinbeck mettait déjà le paquet, avec ce duo improbable et bouleversant, entre Lennie Small le simple d’esprit à la corpulence massive impressionnante, le coeur sur la main et la main aussi tendre que dévastatrice, et George Milton, à la carrure plus resserrée, comme asséchée par la discrétion, la prudence et l’inquiétude, un type débrouillard qui fait figure d’autorité pour son acolyte. Un roman présenté ici dans la splendide version illustrée de Rébecca Dautremer.

Viendra le temps du feu – Wendy Delorme (Cambourakis)

On n’attendait pas forcément Wendy Delorme dans un virage dystopique et pourtant ça lui va comme un gant ! 
Wendy Delorme est universitaire, performeuse, activiste féministe queer, écrivaine. Dans ce nouveau roman, cinq figurent s’articulent, Ève, Louise, Rosa, Raphaël, Grâce. Par leurs regards et leurs luttes se déploie un flamboyant et incandescent roman, très sororal, qui se tisse de part et d’autre du fleuve où tout s’est joué et où tout reste à faire. 

Les petites vertus – Natalia Ginzburg (Ypsilon)

Natalia Ginzburg  est née en 1916. Autrice de romans, de pièces de théâtre, d’essais, traductrice de Maupassant, Flaubert et Proust, éditrice, elle a généreusement parcouru les sphères littéraires italiennes, obtenu de nombreux prix littéraires, a côtoyé Italo Calvino et Cesare Pavese, et reste pourtant aujourd’hui encore injustement méconnue. Les petites vertus regroupe onze textes écrits entre 1944 et 1960, dans lesquels l’autrice évoque les années de guerre, la mort de son époux tué par les fascistes, son rapport à l’Angleterre, les relations humaines, le métier d’écrivain, la vie conjugale…

A la ligne, feuillets d’usine – Joseph Ponthus

« J’écris comme je pense sur ma ligne de production
divaguant dans mes pensées seul déterminé
J’écris comme je travaille
A la chaîne
A la ligne »

La vie à l’usine, les corps qui morflent, les cadences à tenir, Joseph Ponthus écrit la condition ouvrière dans son jus, avec éloquence, humanité et sensibilité. Un indispensable !

Les villes invisibles – Italo Calvino

Il faut accepter de lâcher prise et de se laisser porter, dans cette conversation imaginée entre le jeune explorateur Marco Polo et l’empereur Kublai Khan chez qui il résida. L’empereur ne pouvant se déplacer dans l’ensemble des villes conquises, demande à Marco Polo de lui décrire, ce qu’il honore avec majesté et malice puisque ses descriptions restent magnifiquement énigmatiques. Les villes revêtent des caractères extraordinaires, merveilleux, à travers ce qui en fait le sel de manière impalpable.

Sur les ossements des morts – Olga Tokarczuk (Libretto)

Plongée dans un coin de forêt polonaise en bord de Tchéquie, plutôt tranquille jusqu’à ce qu’un type soit retrouvé mort, puis deux, puis… Des disparitions qui restent énigmatiques et devant lesquelles les enquêteurs piétinent. Janina Doucheyko, en bonne voisine qui passe volontiers pour la vieille allumée de service avec ses prédictions astrologiques et son tempérament bien trempé, soulève similitudes et curiosités naturelles, imaginant une vengeance orchestrée par les animaux.

Le Chancellor – Jules Verne

La survie en mode dix-neuvième siècle entre roman épistolaire, roman d’aventure, réflexions philosophiques et anthropophagie. Court roman dans lequel Jules Verne s’empare du naufrage de la Méduse survenu 60 ans plus tôt, une errance maritime qui s’éternise et par laquelle l’écrivain s’intéresse à l’ambivalence des sentiments qui s’exacerbent avec l’instinct de survie.